Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 42

L'heure qu'elle vecut dans la chambre souterraine devait laisser a Catherine une impression de reve eveille. Elle regardait, sans les voir, les pierres aux eclats differents mais tres belles que lui montrait son hote, mais toute son attention allait vers l'austere et noire silhouette, cherchant a surprendre un geste, une expression, un regard qui, peut-

etre, lui donneraient la clef de cette vivante enigme. En vain ! Fray Ignacio avait repris son travail comme s'il eut ete absolument seul. Il se contenta de la meme breve inclination de tete qu'a leur arrivee lorsque Catherine et don Alonso quitterent la

salle du tresor. Ils remonterent, en silence, vers les appartements.

— Je vous reconduis chez vous ! dit aimablement l'archeveque.

— Non... s'il vous plait ! Je remercie Votre Grandeur, mais je voudrais, avant de me retirer, prendre des nouvelles de mon serviteur.

Je vais le rejoindre.

Elle allait s'eloigner, se ravisa.

— Pourtant... dit-elle, j'aimerais savoir : ce Fray Ignacio me semble un homme extraordinaire ! Y a-t-il longtemps qu'il veille sur tant de merveilles ?

— Sept ou huit ans, je pense ! repondit don Alonso sans mefiance.

Mes gens l'ont trouve un jour, mourant de faim, sur le grand chemin.

Il avait ete chasse par ses freres du couvent navarrais ou il avait fait profession a cause de ses pratiques etranges. Je vous l'ai dit, je crois : on le prenait pour sorcier. D'ailleurs... ne l'est-il pas un peu ? A cette epoque il se rendait a Tolede ou il voulait s'initier a la Kabbale. Mais tout ceci n'a pour vous que peu d'interet. Je vous laisse, dame Catherine, et vais me reposer. En verite, je me sens extenue.

La contemplation de ses tresors avait du accroitre la nervosite habituelle de don Alonso car, tandis qu'il s'eloignait, Catherine nota que ses tics etaient plus prononces que jamais.

Les dernieres paroles du prelat resonnaient encore dans sa tete. Elle passa sur son front moite une main tremblante... Sept ou huit ans !... Il y en avait dix que Garin avait ete pendu. Avait-il alors, au prix d'un miracle, pu gagner ce couvent navarrais d'ou il avait ete chasse pour sorcellerie ? Ou bien n'y avait-il jamais eu de couvent navarrais ?

D'ailleurs, cette accusation de sorcellerie la genait. Garin adorait les pierres precieuses et, en cela, il rejoignait le moine mysterieux.

Pourtant, jamais Catherine ne l'avait vu s'occuper d'alchimie. Il etait curieux de toutes choses, certes, mais il n'y avait pas le moindre laboratoire dans la maison de la rue de la Parcheminerie, pas plus qu'a Brazey. Devait-on en conclure qu'il s'etait cache pour se livrer a ces recherches esoteriques ?... ou bien que le gout lui en etait venu apres l'effondrement de sa fortune ? Trouver la fabuleuse Pierre philosophale, quelle tentation pour un homme depouille de toutes choses !

Brusquement, Catherine s'arracha a sa reverie. Sans vouloir reflechir davantage, elle se dirigea vers le donjon, feignant de ne pas voir Tomas, soudainement apparu dans la cour. Continuellement, depuis son arrivee, elle rencontrait le sombre page. Il apparaissait sur son chemin, qu'elle se rendit a la chapelle, au donjon ou dans toute autre partie du chateau sans qu'elle put jamais prevoir son approche. Il ne lui adressait pas la parole, se contentant de la regarder avec des yeux ou se melaient la colere et la convoitise, mais de loin, sans approcher. Catherine, que cette longue figure mettait mal a l'aise, avait pris le parti de ne jamais paraitre s'apercevoir de sa presence.

Elle fit de meme ce soir-la, monta d'une traite jusqu'a la chambre de Gauthier.

Le Normand se remettait rapidement de l'operation que lui avait fait subir Hamza. Sa constitution exceptionnelle, jointe a la minutieuse proprete dont l'entourait son medecin et a l'excellente nourriture dispensee au chateau, lui avait fait surmonter tous les dangers qui rendaient le plus souvent mortelle ce genre d'intervention.

Malheureusement, le geant semblait avoir perdu la memoire.

Certes, il avait retrouve la clairvoyance, une pleine connaissance de ce qui l'entourait, une entiere conscience ; mais, de tout ce qui s'etait passe avant la minute ou il avait ouvert les yeux dans la chambre du donjon, il n'avait garde aucun souvenir. Pas meme de son propre nom et, de cet etat de chose, Catherine se desesperait. Lorsque le medecin maure lui avait appris que Gauthier avait repris conscience, elle s'etait precipitee aupres de lui, mais, quand elle s'etait penchee sur le lit, elle avait eprouve une peine cruelle. Le geant l'avait regardee, avec des yeux pleins d'admiration, comme si elle avait ete une apparition, mais rien n'avait indique qu'il la reconnut. Elle lui avait parle, alors, se nommant, repetant qu'elle etait Catherine, qu'il ne pouvait pas ne pas la reconnaitre... mais Gauthier avait hoche la tete.

— Pardonnez-moi, dame, avait-il murmure. Certes, vous etes belle comme la lumiere... mais je ne sais pas qui vous etes, je ne sais meme pas qui je suis, avait-il ajoute tristement.

— Tu te nommes Gauthier Malencontre. Tu es a la fois mon serviteur et mon ami... As-tu donc tout oublie de jadis, de toutes nos peines, de Montsalvy... de Michel ? de Sara... et de messire Arnaud ?

Un sanglot avait etrangle sa voix au nom de son epoux, mais, dans le regard morne du geant, aucune lueur ne s'etait allumee. De nouveau, il avait secoue la tete.

— Non... je ne me souviens de rien !

Elle s'etait alors retournee vers Hamza qui, silencieux, les bras croises sous sa robe blanche, observait la scene d'un coin de la piece.

Son regard douloureux avait implore tandis qu'elle murmurait :

— Est-ce... qu'il n'y a rien a faire ?

Il l'avait appelee pres de lui d'un signe discret, entrainee au-dehors.

— Non. Je ne peux plus rien faire. Seule, la nature a le pouvoir de lui rendre le souvenir.

— Mais comment ?

— Un choc moral peut-etre ! J'avoue que je l'avais espere de ton apparition aupres de lui, mais j'ai ete decu !

— Pourtant, il m'etait tres attache... Je peux meme dire qu'il m'aimait sans jamais oser le montrer.

— Alors, essaie de reveiller cet amour. Il se peut que le miracle se produise. Mais il se peut aussi qu'il ne vienne jamais. Tu seras, alors, sa memoire et tu devras tout lui reapprendre de son passe.

Ces paroles, Catherine se les redisait en penetrant dans l'etroite piece qu'une seule chandelle eclairait. Gauthier, assis dans l'embrasure de la fenetre, regardait la nuit. Ses longues jambes repliees, vetu d'une sorte de gandoura rayee serree a la taille par une echarpe, il semblait plus grand que jamais. Il tourna la tete lorsque Catherine entra, offrant a la lumiere son visage creuse par la souffrance, mais ou les yeux gris avaient retrouve un regard direct. Tres amaigrie, la silhouette du Normand restait impressionnante. Catherine, jadis, lui disait souvent, en riant, qu'il avait l'air d'une machine de siege. Il en restait quelque chose, mais la maladie avait pare d'une sorte de distinction le visage rude aux traits grossiers qui avait retrouve une jeunesse attendrissante.

Jusqu'aux enormes mains blanchies, qui paraissaient s'effiler.

Maintenant qu'il n'etait plus couche, la chambre semblait trop petite pour le contenir.

Il voulut se lever quand la jeune femme s'approcha, mais elle l'en empecha, posant vivement sa main sur l'epaule osseuse.

— Non... ne bouge pas ! Tu n'es pas encore couche ?

— Je n'ai pas envie de dormir. J'etouffe dans cette chambre. Elle est si petite !

— Tu n'y resteras plus longtemps. Quand tu seras assez fort pour chevaucher, nous partirons...

— Nous ? Est-ce que vous m'emmenerez avec vous ?

— Tu m'as toujours suivi, fit Catherine tristement. Cela te paraissait naturel... Est-ce que tu ne veux plus venir avec moi ?

II ne repondit pas tout de suite et le c?ur de Catherine se serra douloureusement. S'il allait refuser ? S'il allait vouloir se chercher un autre destin ? Elle n'etait plus rien pour lui, qu'une jolie femme, puisque sa memoire etait morte. Et jamais, jamais elle n'avait eu autant besoin de lui, de sa force, de ce refuge inexpugnable qu'il avait toujours represente. Entre la souffrance et elle, il y avait eu, depuis si longtemps, la large poitrine de Gauthier ! Ne l'avait-elle retrouve, arrache a une mort horrible, que pour le perdre plus surement ? Elle sentit les larmes piquer ses yeux.