Франция: Общественно-политические реалии - Конобеев Владимир. Страница 3
Généralement, les pays d'Europe ont des services publics très étoffés. La différence entre eux tient moins au nombre ou à l'importance qu'au niveau auquel ils sont gérés (central ou décentralisé) ainsi qu'à la situation faite au personnel (statut ou contrat de travail ordinaire).
Pour la France, il est de bon ton, depuis quelques années, de se gausser du service public, de ses lourdeurs, de ses dysfonctionnements, tout comme il est de bon ton de railler les fonctionnaires, ces «nantis» qui à l'occasion de chaque grève prendraient les usagers en otages.
Pourtant, c'est bien souvent grâce au service public que des performances notables ont été accomplies. Soit directement, lorsque par exemple le branchement d'une ligne téléphonique est désormais quasi immédiat ou que le trafic ferroviaire permet d'acheminer à peu près n'importe quoi en n'importe quel lieu du territoire. Soit indirectement, lorsque l'existence du service public permet au privé de profiter de ses prestations et, en conséquence, de se consacrer à ses propres missions.
9. Etat. Tout lui fut imputé, succès comme échecs, et les seconds surtout car il est bien connu que provoque moins de bruit le plaisir d'une réussite que le désagrément d'une faillite. Nous disposons en effet d'un appareil public d'une conception vieillie. La puissance publique reste à peu près celle de l'État napoléonien, le service public reste à peu près celui de l'État-providence quand l'un et l'autre ont été mis à mal. Rien de cela n'est plus adapté au monde actuel, moins encore à celui de demain : l'ouverture des frontières, le développement d'une société de communication, sont radicalement incompatibles avec toutes les formes de monopole, qu'il s'agisse de monopoles économiques ou même du monopole de définition de l'intérêt général.
Aussi l'Etat doit-il être réorganisé profondément, avec comme objectifs évidents ceux de la justice et de l'efficacité. Reconstituer le lien social, définir des politiques publiques qui servent de référence à tous et qui soient mesurées pour préserver les chances de chacun, voilà qui n'est simple qu'à dire. Mais si la rénovation de l'État ne peut être le centre de tout projet futur, elle doit être au centre de tout projet futur.
Passer de l'État producteur à l'État régulateur, de l'État tutélaire à l'État-vigie, de l'État puissance à l'État acteur, se heurtera à bien des résistances. D'abord réfléchir à l'étendue et aux contours de ce que doivent être les missions publiques. Substituer progressivement à la gestion directe l'intervention, à l'intervention l'incitation, à l'incitation la régulation, au fur et à mesure que les acteurs sociaux, économiques et culturels se révèlent aptes à se saisir des tâches d'intérêt collectif. Puis envisager pour l'action de l'État un début et une fin, de sorte qu'il sache quand ses interventions doivent cesser dans un domaine pour se reporter sur un autre, et être guidé par la nécessité plus que par l'habitude.
À cet État régulateur, qui ne tenterait pas de tout faire par lui-même, trois missions essentielles sont assignées : assurer les sécurités de base par une solidarité active (libertés, santé, retraites...); prévenir ou réduire les déséquilibres économiques ; entretenir les moyens de préparer l'avenir (formation, recherche, principalement).
L'État-vigie se différencie de l'État tutélaire par la conception même de ses rapports avec les citoyens. Il est de la logique de toute institution, surtout quand elle a pris les dimensions de notre administration, de perdre la conscience de l'intérêt en vue duquel elle a été créée, pour y substituer ses propres intérêts, ses propres logiques, ses propres pesanteurs.
10. Démocratie. C'est à Churchill qu'on attribue la vieille boutade : « La démocratie est le pire des régimes, excepté tous les autres. » Elle illustre bien les difficultés que connaissent ceux qui ont à conduire un pays libre, se trouvent soumis en permanence à la critique, et parfois perdent le pouvoir pour n'avoir su convaincre, lors même que la suite prouverait qu'eux seuls avaient raison.Depuis plus de deux siècles, elle est considérée comme une forme de luxe : seules les nations prospères peuvent vivre dans un système démocratique. La démocratie a besoin de civisme ; le civisme exige le pain et l'alphabétisation ; eux-mêmes nécessitent un minimum de développement collectif. Dans l'attente de celui-ci, la démocratie n'est au mieux qu'un espoir. Ensuite seulement — dans un ensuite sans cesse remis au lendemain — tout viendra d'un seul coup et la liberté couronnera la richesse. Aux pays pauvres, les gouvernements autoritaires, seuls possibles et seuls capables de conduire le processus du développement
Fariboles! Ce que les démocrates eux-mêmes ne soupçonnaient pas toujours, ce que les autres niaient, se révèle aujourd'hui aux regards attentifs : la démocratie n'est pas la conséquence du développement, elle en est le meilleur outil.Les pays sortis des dictatures, quelles qu'en soient les conditions, sont ceux dont l'activité économique est la plus vivace. Végétative ou bureaucratiquement contrainte dans un cadre abusivement autoritaire, la démocratie retrouvée lui est un stimulant, les arbitrages du marché un aiguillon et le plan, quand il existe, lui donne une cohérence.
11. Dйcentralisation. On n'en est pas quittes. Beaucoup a été fait et, sur cela, on ne reviendra pas. Mais l'œuvre passée ne nous dispense pas du travail futur. La centralisation est encore dans les têtes — celles des élus eux-mêmes en premier lieu. Le niveau a changé, passant de l'État aux collectivités locales. Le principe est trop souvent demeuré identique : tout le pouvoir remis à un appareil qui est, dans le pire des cas, rétif à la participation civique et, dans le meilleur, incapable de la provoquer. Le problème essentiel demeure. Il faut passer des attributions déléguées — la forme actuelle de la décentralisation — aux compétences pleinement assumées.
Lorsqu'il sera clair pour chacun que la qualité de la vie quotidienne est de la responsabilité des communes, que l'innovation en matière de protection sociale — 4e âge, handicapés, prévention de la délinquance et de la drogue — est départementale, que l'animation du développement économique, incluant la recherche appliquée, la formation et le financement de la création, est régionale, alors l'État sera désencombré de tâches qu'il accomplit mal. Il pourra se concentrer sur les siennes propres. Il lui restera à garantir un niveau minimal de prestations et à assurer les répartitions nécessaires. Plutôt qu'au national libéralisme d'État sous lequel nous vivons, nos concitoyens aspirent à une vraie libéralisation des comportements quotidiens et des décisions à la base, accompagnée par un État qui, lui-même, ne renonce pas à sa responsabilité de fixer des règles du jeu équitables.
12. Еurope. Voilà nos vraies frontières. À ces 320 millions de femmes et d'hommes qui peuplent un espace exigu mais que soudent des siècles d'une histoire commune, le patrimoine d'une immense culture, à ces 320 millions de femmes et d'hommes, rien n'est impossible.
D'où vient alors que, trente ans après le traité de Rome, l'édification ait si peu avancé ? On y voit une double cause.
La première tient à ce qu'on a fait les choses à rebours. Parce que la création d'une Europe politique était malheureusement impossible si peu de temps après la guerre, les pères fondateurs ont dû se contenter d'actions sectorielles. Elles ont produit des résultats dont certains furent grandioses mais dont aucun, jamais, ne pourra suppléer une volonté politique commune que le Marché commun, et son cortège d'égoïsmes nationaux, n'a pas vraiment fait naître.
Pour surmonter ce handicap, il fallait une pression très forte des opinions publiques nationales. Et celle-ci, longtemps, n'a pas existé pour une raison laquelle est la seconde cause de stagnation.