Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian. Страница 44

Jamais il ne pourrait oublier ces oiseaux merveilleux! Lorsqu'ils furent hors de sa vue, il plongea jusqu'au fond de l'eau et quand il remonta a la surface, il etait comme hors de lui-meme. Il ne savait pas le nom de ces oiseaux ni ou ils s'envolaient, mais il les aimait comme il n'avait jamais aime personne. Il ne les enviait pas, comment aurait-il reve de leur ressembler…

L'hiver fut froid, terriblement froid. Il lui fallait nager constamment pour empecher l'eau de geler autour de lui. Mais, chaque nuit, le trou ou il nageait devenait de plus en plus petit. La glace craquait, il avait beau remuer ses pattes, a la fin, epuise, il resta pris dans la glace.

Au matin, un paysan qui passait le vit, il brisa la glace de son sabot et porta le caneton a la maison ou sa femme le ranima.

Les enfants voulaient jouer avec lui, mais lui croyait qu'ils voulaient lui faire du mal, il s'elanca droit dans la terrine de lait eclaboussant toute la piece; la femme criait et levait les bras au ciel. Alors, il vola dans la baratte ou etait le beurre et, de la, dans le tonneau a farine. La paysanne le poursuivait avec des pincettes; les enfants se bousculaient pour l'attraper… et ils riaient… et ils criaient. Heureusement, la porte etait ouverte! Il se precipita sous les buissons, dans la neige molle, et il y resta aneanti.

Il serait trop triste de raconter tous les malheurs et les peines qu'il dut endurer en ce long hiver. Pourtant, un jour enfin, le soleil se leva, deja chaud, et se mit a briller. C'etait le printemps.

Alors, soudain, il eleva ses ailes qui bruirent et le souleverent, et avant qu'il put s'en rendre compte, il se trouva dans un grand jardin plein de pommiers en fleurs. La, les lilas embaumaient et leurs longues branches vertes tombaient jusqu'aux fosses.

Comme il faisait bon et printanier! Et voila que, devant lui, sortant des fourres trois superbes cygnes blancs s'avancaient. Il ebouriffaient leurs plumes et nageaient si legerement, et il reconnaissait les beaux oiseaux blancs. Une etrange melancolie s'empara de lui.

– Je vais voler jusqu'a eux et ils me battront a mort, moi si laid, d'avoir l'audace de les approcher! Mais tant pis, plutot mourir par eux que pince par les canards, pique par les poules ou par les coups de pied des filles de basse-cour!

Il s'elanca dans l'eau et nagea vers ces cygnes pleins de noblesse. A son etonnement, ceux-ci, en le voyant, se dirigerent vers lui.

– Tuez-moi, dit le pauvre caneton en inclinant la tete vers la surface des eaux.

Et il attendit la mort.

Mais alors, qu'est-ce qu'il vit, se refletant sous lui, dans l'eau claire? C'etait sa propre image, non plus comme un vilain gros oiseau gris et lourdaud… il etait devenu un cygne!!!

Car il n'y a aucune importance a etre ne parmi les canards si on a ete couve dans un oeuf de cygne!

Il ne regrettait pas le temps des miseres et des epreuves puisqu'elles devaient le conduire vers un tel bonheur! Les grands cygnes blancs nageaient autour de lui et le caressaient de leur bec.

Quelques enfants approchaient, jetant du pain et des graines. Le plus petit s'ecria:-Oh! il y en a un nouveau.

Et tous les enfants de s'exclamer et de battre des mains et de danser en appelant pere et mere.

On lanca du pain et des gateaux dans l'eau. Tous disaient: «Le nouveau est le plus beau, si jeune et si gracieux.» Les vieux cygnes s'inclinaient devant lui.

Il etait tout confus, notre petit canard, et cachait sa tete sous l'aile, il ne savait lui-meme pourquoi. Il etait trop heureux, pas du tout orgueilleux pourtant, car un grand coeur ne connait pas l'orgueil. Il pensait combien il avait ete pourchasse et hai alors qu'il etait le meme qu'aujourd'hui ou on le declarait le plus beau de tous! Les lilas embaumaient dans la verdure, le chaud soleil etincelait. Alors il gonfla ses plumes, leva vers le ciel son col flexible et de tout son coeur comble il cria: «Aurais-je pu rever semblable felicite quand je n'etais que le vilain petit canard!»

Les voisins

On aurait vraiment pu croire que la mare aux canards etait en pleine revolution; mais il ne s'y passait rien. Pris d'une folle panique, tous les canards qui, un instant avant, se prelassaient avec indolence sur l'eau ou y barbotaient gaiement, la tete en bas, se mirent a nager comme des perdus vers le bord, et, une fois a terre, s'enfuirent en se dandinant, faisant retentir les echos d'alentour de leurs cris les plus discordants. La surface de l'eau etait tout agitee. Auparavant elle etait unie comme une glace; on y voyait tous les arbres du verger, la ferme avec son toit et le nid d'hirondelles; au premier plan, un grand rosier tout en fleur qui, adosse au mur, se penchait au-dessus de la mare. Maintenant on n'apercevait plus rien; le beau paysage avait disparu subitement comme un mirage. A la place il y avait quelques plumes que les canards avaient perdues dans leur fuite precipitee; une petite brise les balancait et les poussait vers le bord. Survint une accalmie, et elles resterent en panne. La tranquillite retablie, l'on vit apparaitre de nouveau les roses. Elles etaient magnifiques; mais elles ne le savaient pas. La lumiere du soleil passait a travers leurs feuilles delicates; elles repandaient la plus delicieuse senteur.

– Que l'existence est donc belle! dit l'une d'elles. Il y a pourtant une chose qui me manque. Je voudrais embrasser ce cher soleil, dont la douce chaleur nous fait epanouir; je voudrais aussi embrasser les roses qui sont la dans l'eau. Comme elles nous ressemblent! Il y a encore la-haut les gentils petits oiseaux que je voudrais caresser. Comme ils gazouillent joliment quand ils tendent leurs tetes mignonnes hors de leur nid! Mais il est singulier qu'ils n'aient pas de plumes, comme leur pere et leur mere. Quels excellents voisins cela fait! Ces jeunes oiseaux etaient des moineaux; leurs parents aussi etaient des moineaux; ils s'etaient installes dans le nid que l'hirondelle avait confectionne l'annee d'avant: ils avaient fini par croire que c'etait leur propriete.

– Sont-ce des pieces pour faire des habits aux canards? demanda l'un des petits moineaux, en apercevant les plumes sur l'eau.

– Comment pouvez-vous dire des sottises pareilles? dit la mere. Ne savez-vous donc pas qu'on ne confectionne pas des vetements aux oiseaux comme aux hommes? Ils nous poussent naturellement. Les notres sont bien plus fins que ceux des canards. A propos, je voudrais bien savoir ce qui a pu tant effrayer ces lourdes betes. Je me rappelle que j'ai pousse quelques pip, pip energiques en vous grondant tout a l'heure. Serait-ce cela? Ces grosses roses, qui etaient aux premieres loges, devraient le savoir; mais elles ne font attention a rien; elles sont perdues dans la contemplation d'elles-memes. Quels ennuyeux voisins! Les petits marmotterent quelques legers pip d'approbation.

– Entendez-vous ces amours d'oiseaux! dirent les roses. Ils s'essayent a chanter; cela ne va pas encore; mais dans quelque temps ils fredonneront gaiement. Que ce doit etre agreable de savoir chanter! on fait plaisir a soi-meme et aux autres. Que c'est charmant d'avoir de si joyeux voisins! Tout a coup deux chevaux arriverent au galop; on les menait boire a la mare. Un jeune paysan montait l'un; il n'avait sur lui que son pantalon et un large chapeau de paille. Le garcon sifflait mieux qu'un moineau; il fit entrer ses chevaux dans l'eau jusqu'a l'endroit le plus profond. En passant pres du rosier, il en cueillit une fleur et la mit a son chapeau. Il n'etait pas peu fier de cet ornement. Les autres roses, en voyant s'eloigner leur soeur, se demanderent l'une a l'autre:

– Ou peut-elle bien aller? Aucune ne le savait.

– Parfois je souhaite de pouvoir me lancer a travers le monde, dit l'une d'elles; mais reellement je me trouve tres bien ici: le jour, le soleil y donne en plein; et la nuit, je puis admirer le bel eclat lumineux du ciel a travers les petits trous du grand rideau bleu. C'est ainsi que dans sa simplicite elle designait les etoiles.