Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian. Страница 23

Il fit quelques pas, a sa maniere d'animal rampant, et se trouva sur la route. Des gens vivaient la; il y avait des jardins fleuris et des potagers. Il se reposa devant un carre de choux.

– Quelle variete de creatures que je n'ai jamais vues! Comme le monde est grand et beau. Mais il faut le parcourir et ne pas rester a la meme place. Et il sauta dans le carre de choux.

– Que c'est beau!

– Je le sais bien, dit une chenille verte couchee sur une feuille de chou. Ma feuille est la plus large de toutes, elle cache la moitie de l'univers, mais je me passe fort bien de cette moitie-la.

Des poules arrivaient et couraient dans le potager. La premiere avait bonne vue. Apercevant la chenille sur la feuille, elle lui donna un coup de bec. La chenille tomba a terre ou elle se tortillait. La poule l'examina de cote, d'abord d'un oeil puis de l'autre, car elle ne savait ce que signifiaient ces contorsions.

«Il n'arrivera a rien de bon», se dit la poule en se preparant a lui donner un autre coup de bec.

Le petit crapaud en fut si effraye qu'il rampa droit devant elle.

«Ah! il est accompagne, se dit la poule. Quelle horrible creature rampante!»

Et elle s'en alla disant:

– Ces petites bouchees vertes ne m'interessent pas, cela ne fait que vous chatouiller dans la gorge.

Les autres poules furent du meme avis et toutes s'en allerent.

– M'en voila debarrassee, dit la chenille. Heureusement, j'ai de la presence d'esprit. Mais comment vais-je remonter sur ma feuille. Ou est-elle?

Le petit crapaud s'approcha d'elle pour lui exprimer sa sympathie et lui dire qu'il etait tout heureux d'avoir chasse la poule par sa laideur.

– Que voulez-vous dire? demanda la chenille. Je m'en suis debarrassee moi-meme en me tortillant. Vous etes vraiment affreux a regarder. Et, en tout cas, j'ai le droit de rester a ma place. Je sens deja l'odeur du chou, voici ma feuille. Rien n'est plus beau que ce qui vous appartient. Mais il faut que je monte plus haut.

– Oui, plus haut, dit le crapaud. Elle a les memes sentiments que moi, mais elle n'est pas de bonne humeur aujourd'hui, ce doit etre le choc. Nous souhaitons tous monter plus haut.

Le pere cigogne etait debout dans son nid sur le toit du paysan et claquait du bec, la mere cigogne egalement.

– Comme ils habitent haut, pensa le crapaud. Pourrait-on monter si haut?

Deux jeunes etudiants vivaient a la ferme, l'un etait un poete et l'autre un naturaliste. L'un chantait dans ses ecrits toutes les creations de Dieu qui se refletaient dans son coeur, l'autre s'emparait du fait lui-meme et l'examinait comme une vaste operation mathematique; il soustrayait, multipliait, desirant connaitre a fond les problemes et en parler avec sa raison et son enthousiasme. Tous deux etaient d'un bon naturel et tres gais.

– Regarde! voila un beau specimen de crapaud, la-bas, disait le naturaliste. Je veux le mettre dans l'alcool.

– Oh! mais tu en as deja deux, repliquait le poete. Laisse-le jouir de la vie.

– Mais il est si joliment laid, dit l'autre.

– Evidemment, si nous pouvions trouver la pierre philosophale dans sa tete, je vous aiderais volontiers a le dissequer.

– La pierre philosophale, repliqua son ami, tu t'y connais donc en histoire naturelle?

– Mais ne trouves-tu pas que c'est tres beau cette croyance populaire qui veut que le crapaud, le plus laid des animaux, possede souvent dans sa tete le plus precieux des joyaux?

C'est tout ce qu'entendit le crapaud et il n'en avait compris que la moitie. Les deux amis s'eloignerent et il echappa au bocal d'alcool.

«Eux aussi parlaient de pierre precieuse. Que je suis content de ne pas l'avoir, sans quoi quelque chose de tres desagreable aurait pu m'arriver.»

Le jacassement du pere cigogne se fit entendre sur le toit de la ferme. Il faisait une conference a sa famille et lancait de mauvais regards aux deux jeunes gens.

– Les hommes sont les animaux les plus infatues d'eux-memes. Ecoutez leurs jacassements precipites, et ils ne savent meme pas les articuler convenablement. Ils sont si fiers de leur don de parole, de leur langage. Et quel etrange langage, a quelques jours de vol d'une cigogne ils ne se comprennent plus les uns les autres. Nous, au contraire, nous pouvons nous faire comprendre partout, meme en Egypte. Et ils ne savent meme pas voler. Pour voyager un peu vite, ils ont invente ce qu'ils appellent le «chemin de fer» et souvent ils y sont blesses. J'ai des frissons le long du corps et mon bec commence a trembler quand j'y pense. Le monde pourrait tres bien durer sans les hommes. Ils ne nous manqueraient certes pas, aussi longtemps que nous aurons des vers de terre et des grenouilles.

«Voila un beau discours, pensa le petit crapaud. Quel grand homme et comme il siege haut! Et comme il nage bien», s'ecria-t-il quand le pere cigogne etendit ses ailes et s'elanca dans les airs.

La mere cigogne se mit alors a parler a ses petits, dans le nid, du pays appele Egypte, des eaux du Nil, et de tous les magnifiques marais que l'on trouve dans ce pays lointain. Tout ceci etait nouveau pour le petit crapaud et l'interessait vivement.

– Il faut que j'aille en Egypte, dit-il. Si seulement la cigogne ou l'un des petits voulait bien m'emmener, je lui ferai une politesse le jour de ses noces. N'importe comment, je trouverai moyen d'aller en Egypte. Que je suis heureux! Le desir que j'eprouve rend certainement plus heureux que la pierre precieuse dans la tete.

Et c'etait justement lui, qui avait le joyau: l'eternel desir de s'elever plus haut, toujours plus haut, il rayonnait de joie et d'amour de la vie.

A ce moment, le pere cigogne descendit en vol plane; il avait apercu le crapaud dans l'herbe et il se saisit de lui sans aucune douceur. Il serrait le bec, ses grandes ailes battaient avec bruit, ce n'etait pas du tout agreable, mais le petit crapaud savait qu'il montait tres haut, vers l'Egypte, c'est pourquoi ses yeux brillaient et lancaient des etincelles.

– Couac! couac!

Mort etait le petit crapaud. Et que devenaient les etincelles? Les rayons du soleil emporterent le joyau qui etait dans la tete du petit animal.

Les cygnes sauvages

Bien loin d'ici, la ou s'envolent les hirondelles quand nous sommes en hiver, habitait un roi qui avait onze fils et une fille, Elisa. Les onze fils, quoique princes, allaient a l'ecole avec decorations sur la poitrine et sabre au cote; ils ecrivaient sur des tableaux en or avec des crayons de diamant et apprenaient tout tres facilement, soit par coeur soit par leur raison; on voyait tout de suite que c'etaient des princes. Leur soeur Elisa etait assise sur un petit tabouret de cristal et avait un livre d'images qui avait coute la moitie du royaume. Ah! ces enfants etaient tres heureux, mais ca ne devait pas durer toujours.

Leur pere, roi du pays, se remaria avec une mechante reine, tres mal disposee a leur egard. Ils s'en rendirent compte des le premier jour: tout le chateau etait en fete; comme les enfants jouaient «a la visite», au lieu de leur donner, comme d'habitude, une abondance de gateaux et de pommes au four, elle ne leur donna que du sable dans une tasse a the en leur disant «de faire semblant».

La semaine suivante, elle envoya Elisa a la campagne chez quelque paysan et elle ne tarda guere a faire accroire au roi tant de mal sur les pauvres princes que Sa Majeste ne se souciait plus d'eux le moins du monde.

– Envolez-vous dans le monde et prenez soin de vous-meme! dit la mechante reine, volez comme de grands oiseaux, mais muets.

Elle ne put cependant leur jeter un sort aussi affreux qu'elle l'aurait voulu: ils se transformerent en onze superbes cygnes sauvages et, poussant un etrange cri, ils s'envolerent par les fenetres du chateau vers le parc et la foret.

Ce fut le matin, de tres bonne heure qu'ils passerent au-dessus de l'endroit ou leur soeur Elisa dormait dans la maison du paysan; ils planerent au-dessus du toit, tournant leurs longs cous de tous cotes, battant des ailes, mais personne ne les vit ni ne les entendit, alors il leur fallut poursuivre tres haut, pres des nuages, loin dans le vaste monde. Ils atteignirent enfin une sombre foret descendant jusqu'a la greve. La pauvre petite Elisa restait dans la salle du paysan a jouer avec une feuille verte-elle n'avait pas d'autre jouet-, elle s'amusait a piquer un trou dans la feuille et a regarder le soleil au travers, il lui semblait voir les yeux clairs de ses freres.