Les Aventures De Pinocchio - Collodi Carlo. Страница 15
– A peine deux kilometres. Veux-tu venir avec nous? Tu y seras dans une demi-heure. En arrivant, tu semes tes quatre pieces et, en quelques minutes, tu en recolteras deux mille. Tu seras de retour ce soir meme les poches pleines. Alors, tu viens?
Pinocchio hesitait parce qu’il pensait a la bonne Fee, a Geppetto et aux mises en garde du grillon-qui-parle. Mais il fit ce que font tous les enfants qui n’ont pas un brin de jugeote, c’est a dire qu’il finit par dire au Renard et au chat, avec un petit hochement de tete:
– D’accord, je viens avec vous.
Et ils partirent tous les trois.
Apres une bonne demi-journee de marche, ils arriverent dans une ville appelee «Attrape-nigauds». En entrant dans la ville, Pinocchio decouvrit que les rues etaient pleines de chiens peles que la faim faisait bailler, de moutons tondus qui tremblaient de froid, de coqs sans cretes qui faisaient l’aumone d’un grain de mais, de grands papillons cloues au sol parce qu’ils avaient vendu leurs belles ailes colorees, de paons sans queue n’osant plus se montrer, des faisans trottinant comme des petits vieux, pleurant leurs habits d’or et d’argent perdus pour toujours.
Parfois un magnifique carrosse transportant un Renard, une pie voleuse ou un gros oiseau de proie passait au milieu de cette foule de mendiants et de pauvres.
– Et le Champ des Miracles, ou est-il donc? – questionna Pinocchio.
– C’est tout pres d’ici.
Ils traverserent la ville, franchirent les remparts puis ils s’arreterent dans un champ qui se trouvait a l’ecart et ressemblait a n’importe quel autre champ.
– Nous voici arrives – dit le Renard a la marionnette – Penche-toi et, avec les mains, creuse un petit trou dans lequel tu mettras tes pieces d’or.
Pinocchio obeit. Il fit le trou, y deposa les quatre sequins qui lui restaient et les recouvrit avec un peu de terre.
– Maintenant – continua le Renard – va a l’etang qui est pres d’ici, remplis un seau d’eau et arrose l‘endroit ou tu as seme.
Pinocchio se rendit a l’etang. Comme il n’avait pas de seau, il enleva une de ses chaussures qu’il remplit d’eau et en arrosa la terre. Puis il demanda:
– Il y a autre chose a faire?
– Rien d’autre – assura le Renard – On peut partir. Mais toi, en revenant dans une vingtaine de minutes, tu trouveras un jeune arbre qui aura deja pousse et dont les branches seront chargees de pieces d’or.
La pauvre marionnette, folle de joie, remercia mille fois le Renard et le Chat et promit de leur faire un superbe cadeau.
– Ah non! Pas de cadeau! – repliquerent les deux malandrins – De t’avoir enseigne la maniere de t’enrichir sans te fatiguer nous suffit. Nous sommes heureux comme des rois.
Ils saluerent Pinocchio, lui souhaiterent une bonne recolte et s’en allerent de leur cote.
Chapitre 19
La marionnette, revenue en ville, compta les minutes une a une. Quand il lui parut que c’etait l’heure, il reprit sans tarder le chemin du Champ des Miracles.
Il pressait le pas et son c?ur battait a tout rompre. On aurait dit une grosse horloge de salon faisant tac-tac, tac-tac, tac-tac… Tout en marchant, il pensait:
– Si, sur l’arbre, au lieu de mille pieces, j’en trouvais deux mille? Ou meme cinq mille? Et si j’en trouvais cent mille? Quel grand monsieur je deviendrai! Je pourrais avoir un grand palais, plein de petits chevaux de bois avec leurs ecuries pour m’amuser, une cave remplie de liqueurs, un magasin entier de fruits confits, de tartes, de brioches, de gateaux aux amandes et de cornets a la creme.
Il reva ainsi jusqu’au moment ou le champ fut en vue. La, il s’arreta et regarda. Peut-etre pouvait-il deja apercevoir son arbre charge de pieces d’or? Mais il ne vit rien. Il s’approcha d’une centaine de pas: toujours rien!
Entrant dans le Champ des Miracles, il se dirigea vers le trou ou il avait enterre ses sequins. Rien! Il n’y avait rien! Pensif, il sortit une main de sa poche et se gratta longuement la tete, oublieux des bonnes manieres.
C’est alors qu’un grand rire se fit entendre. Levant la tete, il vit un perroquet qui se lissait les quelques plumes qui lui restaient.
– Pourquoi ris-tu? – lui demanda Pinocchio sans plus de ceremonie.
– Je ris parce que, en me lissant les plumes, je me suis fait des chatouilles sous les ailes.
Pinocchio en resta la. Il se dirigea vers l’etang, remplit d’eau l’une de ses chaussures et revint arroser l’endroit ou il avait seme ses pieces d’or.
Mais un autre rire, encore plus impertinent que le premier, resonna dans l’espace silencieux du champ isole.
– Bon, on peut savoir exactement ce qui te fait rire, perroquet mal eduque? – questionna la marionnette qui commencait a s’enerver.
– Je ris de tous ces nigauds prets a faire n’importe quelle betise et qui se font avoir par plus malins qu’eux.
– De qui tu parles? De moi?
– Mais oui, je parle de toi, mon pauvre Pinocchio, qui est assez simplet pour croire que l’on seme et que l’on recolte l’argent dans les champs, comme on fait pousser des haricots ou des citrouilles. Moi aussi, il m’est arrive d’y croire et, aujourd’hui, crois-moi, je le regrette. Aujourd’hui – mais c’est un peu tard – je sais que pour amasser honnetement un peu d’argent, il faut d’abord savoir le gagner, soit en travaillant de ses mains, soit en faisant fonctionner son cerveau.
– Je ne te comprends pas – repliqua la marionnette qui commencait cependant a avoir peur.
– Attends! Je vais etre plus clair – rencherit le perroquet – Sache donc que, pendant que tu etais en ville, le renard et le chat sont revenus, qu’ils ont deterre tes pieces d’or et qu’ils se sont sauves avec, filant comme le vent. Celui qui reussira a les retrouver sera un champion!
Muet, ne voulant pas croire ce que lui disait le perroquet, Pinocchio s’acharna a creuser avec ses ongles la ou il venait d’arroser la terre. Il creusa, creusa, creusa tellement qu’il reussit a faire un trou si profond qu’on aurait pu y faire entrer une meule de paille. Mais de pieces, point. Elles n’y etaient plus.
Desespere, il courut jusqu’a la ville et fila tout droit au tribunal denoncer au juge les chenapans qui l’avaient vole.
Le juge etait un gorille, un vieux singe que son grand age rendait respectable, de meme que sa barbe blanche et, plus particulierement encore, des lunettes en or, sans verres, qu’il etait oblige de porter a cause d’une maladie des yeux qui le tourmentait depuis des annees.