Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта. Страница 10

Elle n'aimait pas Nicolas Rolin, mais de cette minute elle le detesta pour la joie orgueilleuse qu'il etala, pour la louange qu'il fit, ostensible et impudente, de l'aide anglaise. Ermengarde dut quitter la chambre pour ne pas sauter a la gorge du chancelier. Quant a Catherine, la colere qu'elle en eprouva allait changer certaines choses dans son comportement et determiner toute sa conduite des mois suivants. En outre, Nicolas Rolin fut, des lors, range par elle au nombre de ses ennemis personnels.

Catherine, le matin, se rendait volontiers a la messe a Notre-Dame en souvenir de ses habitudes de jeune fille. Cela lui permettait aussi, apres l'office, d'aller embrasser sa mere et son oncle. Elle aimait trotter par la ville, aux heures fraiches du matin, quand la grosse chaleur d'aout ne pese pas encore sur les rues. Vetue d'une robe de toile fine, un voile leger sur la tete, un missel a la main et une servante sur ses talons, Catherine gagnait sa place dans l'eglise sombre et assistait a la messe avec autant de ferveur qu'elle y mettait jadis de distraction. La puissance infinie de Dieu lui semblait le seul recours pour debrouiller l'imbroglio de son c?ur et, jour apres jour, elle implorait du ciel l'aide dont elle avait tant besoin.

Depuis la defection de Sara, elle avait eleve au rang de premiere femme de chambre l'une des servantes chargees de sa toilette. Perrine etait une fille de dix-huit ans, fraiche, aimable et entierement devouee a sa maitresse pour laquelle elle se fut jetee dans le feu sans hesitation. Elle etait simple et paisible, ne posait pas de questions et Catherine appreciait ses qualites.

Or, un matin ou toutes deux occupaient leur place habituelle, non loin de la chapelle de la Vierge Noire, un moine vint s'agenouiller aupres de Catherine. Il portait un froc brun, ceint d'une grosse corde, poussiereux, dont le capuchon, rabattu sur sa tete, cachait une partie de son visage. Le peu que l'on pouvait voir de ce visage etait d'ailleurs sympathique. Tout y etait rond, le nez, la bouche et meme les joues bien remplies. Mais quand il releva la tete pour devisager sa voisine, Catherine vit que le regard etait etrangement vif. Il se pencha, chuchota :

— Pardonnez mon indiscretion, mais vous etes bien dame Catherine de Brazey ?

— C'est moi, en effet, mais...

Le moine, rapidement, porta un doigt a ses levres :

— Chut !... Parlez bas ! Vous etes celle que je cherchais. Madame de Champdivers m'envoie a vous. Je viens de Saint-Jean-de-Losne et je me serais presente a votre hotel si je n'avais craint la curiosite de vos serviteurs... ou meme de n'etre point recu. Alors, je me suis renseigne.

Catherine lui jeta un coup d'?il rapide.

— Avec la caution de mon amie Odette, vous n'aviez point a craindre de n'etre pas recu, mon pere. Que puis-je pour vous ?

— M'accorder quelques instants d'entretien... prive.

— Vous n'aurez qu'a me suivre apres l'office. D'ailleurs la messe se termine. Nulle part nous ne serons mieux que chez moi.

— C'est que... Dame Odette m'a bien recommande d'eviter messire de Brazey.

— Mon epoux est absent, vous ne le rencontrerez pas.

La messe, en effet, tirait a sa fin. A l'autel, le pretre se tournait vers les fideles pour la derniere benediction. Quand il se fut retire dans l'ombre du maitre-autel, Catherine se leva, fit une profonde genuflexion et gagna la sortie, escortee de Perrine et du moine. Ils se retrouverent bientot tous trois au grand soleil de la rue. Renoncant, pour une fois, a se rendre rue du Griffon, Catherine rentra chez elle en hate. Elle etait curieuse de savoir pour quelle raison Odette lui adressait cet etrange messager et ce qu'il pouvait avoir a lui dire.

Rentree a l'hotel de Brazey, elle congedia Perrine et fit venir le moine dans sa chambre.

— Voila, fit-elle en lui designant un siege. Nous sommes seuls, nul ne nous ecoute. Vous pouvez parler en toute securite. Que puis-je pour vous ?

— Nous aider. Mais d'abord il me faut vous dire qui je suis. Je me nomme Etienne Chariot et, comme vous pouvez en juger a mon costume, j'appartiens a l'ordre des Freres Mineurs fonde par Francois d'Assise. Je viens du mont Beuvray ou je vis ordinairement avec quelques autres freres.

Il raconta comment, appele aupres du malheureux roi Charles VI sur la reputation que lui avait faite sa connaissance des simples et des plantes medicinales, il etait devenu l'ami d'Odette de Champdivers, si attachee a soigner le roi fou. La « petite reine » avait apprecie le solide bon sens bourguignon de ce moine a la fois doux et energique. Les tisanes qu'il composait avaient adouci bien souvent le sommeil du roi. A la mort du souverain, il avait regagne son Mont Beuvray, tandis qu'Odette revenait vers sa Bourgogne natale. Mais Catherine ne tarda pas a comprendre que, ce faisant, tous deux avaient un but secret : servir le roi Charles VII avec autant de devouement qu'ils avaient servi et aime son pere.

— Nous avons pense, l'un comme l'autre, conclut le moine, que nous serions plus utiles a notre maitre chez son ennemi plutot que dans le domaine royal a prier pour le succes de ses armes. Nous eussions, dame Odette et moi-meme, trouve aisement accueil aupres de Monseigneur Charles, mais nous avons choisi de revenir. La situation geographique du Mont Beuvray, dans l'enclave de Chateau-Chinon, est, en effet, exceptionnelle. C'est une mince piece de terre, relevant du duc Jean de Bourbon, encastree dans les terres bourguignonnes, exactement entre le duche de Bourgogne et le comte de Ne vers...

— Je vois, fit Catherine avec un sourire : un poste d'espionnage remarquable !

— Dites : un poste d'observation, corrigea frere Etienne. Surtout un point de passage excellent !

Catherine examinait attentivement son visiteur. Vu ainsi, dans la pleine lumiere d'un rayon de soleil, il etait moins jeune qu'elle n'avait cru, tout a l'heure, dans l'eglise obscure. Son teint etait frais, son visage rond et rose avec une peau bien tendue, mais les pattes-d'oie se marquaient aux yeux et la couronne de cheveux grisonnait. En tant qu'homme, il n'etait pas beau, trop en courbes, mais l'intelligence que refletait son visage plut a la jeune femme autant que la bonte de son regard. Elle interrompit avec un sourire le cours de geographie politique d'Etienne Charlot.

— Je comprends parfaitement tout ceci. Mais je ne vois pas bien quel role je puis jouer.

Frere Etienne leva vers elle son regard soudain grave.

— Nous aider, je vous l'ai dit. Dame Odette pretend que vos sympathies vont au roi Charles VII... et vous etes introduite largement a la Cour de Bourgogne. Vous pourriez etre pour nous une source infiniment riche d'informations... Non, ne froncez pas les sourcils, je devine ce que vous pensez et ce que vous allez me dire. Vous n'etes pas une espionne, c'est bien cela ?

— C'est un plaisir de vous entendre exprimer les choses aussi clairement.

— Pourtant, je vous prie de considerer ceci : la cause du roi Charles VII est legitime et juste parce qu'elle est celle de la France, alors que le duc Philippe ne craint pas de tendre sa main a l'envahisseur, dans le seul but d'accroitre son pouvoir et l'etendue de ses terres.

Ces mots-la, Catherine les connaissait bien. Si souvent Ermengarde avait exprime une opinion semblable ! Et puis, a peu de chose pres, ils etaient la copie fidele de ceux qu'Arnaud avait jetes au visage de Philippe, a Amiens.

Mais frere Etienne continuait :

— Pour une cause juste, il n'est rien d'avilissant. Celle du roi est noble entre toutes et sacree. Il est l'oint du Seigneur. Qui le sert oblige Dieu lui-

meme ! Et, a l'heure du triomphe, il saura recompenser ses serviteurs fideles... bien que, ajouta-t-il avec un bon sourire, vous ne paraissiez pas etre de ceux qui attendent quelque paiement de leurs actions.

— On dit pourtant le roi Charles leger, oublieux, tout occupe de fetes et de femmes...