Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта. Страница 11
En effet et, pour ne vous rien cacher, je regrette fort de ne pouvoir vous conduire a sa Cour. Vous en feriez votre esclave. J'espere que vous pardonnerez une phrase si brutale chez un moine. Le roi est faible, c'est un fait, mais aupres de lui veille un ange. Le pouvoir, la sagesse sont aux mains d'une femme, sa belle-mere, une tres grande et tres noble dame : Yolande d'Aragon, reine de Sicile et de Jerusalem, comtesse d'Anjou et comtesse de Provence, la plus haute et la plus vaillante princesse de ce temps. C'est elle que je sers plus particulierement et elle m'honore de sa confiance. Je puis vous affirmer que sa memoire est fidele, sa tete solide, son genie politique extreme... et qu'il fait bon la servir.
— Alors...
La phrase commencee, Catherine s'arreta. Une idee venait de germer dans sa tete, soudaine et brillante comme une etincelle et si seduisante qu'elle en sourit inconsciemment. Frere Etienne, impatient, se penchait vers elle :
— Alors ?
— Si je demandais, des avant de servir, une grace, votre reine l'accorderait-elle ?
— Pourquoi non, si la chose est possible et raisonnable ? Yolande n'a point une ame de marchande. Elle est genereuse. Demandez toujours.
— A la bataille de Cravant, plusieurs seigneurs ont ete pris par le comte de Suffolk. Certains sont... de mes amis. Que le roi paie rancon pour Arnaud de Montsalvy et Jean de Xaintrailles, qu'ils soient rendus a la liberte... et vous pourrez user de moi a votre gre. Odette ne vous a pas menti : je tiens la cause royale pour juste et digne d'etre defendue.
Un eclair de joie brilla dans les yeux du moine. Il se leva, s'inclina profondement.
Graces vous soient rendues, Madame ! Ce soir meme, je partirai pour Bourges, je verrai la reine et delivrerai votre message. Ou je me trompe fort ou vous aurez satisfaction. Il se trouve que Sa Majeste prise beaucoup la bravoure et la loyaute de ces deux capitaines. J'espere vous apporter bientot une bonne nouvelle...
— Vous me la rapporterez a Saint-Jean-de-Losne ou je vais me rendre pour voir mon amie. En attendant, vous etes mon hote jusqu'a ce soir. Allons diner, voulez-vous ? Nous avons encore bien des choses a nous dire...
Tendant la main a son nouvel ami, Catherine l'entraina vers la salle a manger ou le repas de midi allait etre servi.
Le soir meme, frere Etienne quitta Dijon. Le lendemain, Catherine en faisait autant pour se rendre a Saint-Jean-de-Losne aupres d'Odette. La duchesse Marguerite lui avait gracieusement accorde quelques jours de vacances. Ce petit voyage de sept ou huit lieues enchantait la jeune femme comme une escapade. Laissant l'hotel de la rue de la Parcheminerie a la garde du majordome Tiercelin, et aussi d'Abou- al-Khayr, elle partit le matin, a cheval, escortee seulement de Perrine et de deux serviteurs charges de veiller sur les bagages. Il faisait un temps radieux. Le soleil chauffait les vastes etendues de ble pret pour la recolte et, au souvenir de la desolation champenoise, Catherine trouvait merveilleuse cette plaine un peu morne, coupee de bois, qui menait a la Saone.
Catherine trouva Odette a la riviere. L'ancienne favorite surveillait ellememe ses servantes occupees a la lessive. Vetue d'une robe de toile aux manches retroussees, le cou et la gorge libres, ses cheveux blonds noues lachement par un ruban du meme bleu que sa robe, Odette avait l'air d'une jeune fille, malgre ses trente ans passes. Cela tenait a la minceur de sa taille, a la vivacite de ses mouvements et a la grace de son sourire.
Les deux jeunes femmes tomberent dans les bras l'une de l'autre et s'embrasserent chaleureusement.
— Quelle merveilleuse surprise ! repetait Odette sans se lasser... Comme c'est gentil a vous de venir dans mon ermitage.
— J'y songeais depuis que votre mere m'avait dit la maladie de votre fille. Mais j'ai eu hier une visite qui m'a decidee tout a fait a venir vous deranger. Un autre ermite, tout justement.
Odette jeta un rapide coup d'?il autour d'elle et fit signe a Catherine de se taire. Puis, passant son bras sous celui de son amie, elle l'entraina sur le chemin de sa demeure, apres avoir ordonne aux servantes de continuer sans elle. Les deux jeunes femmes franchirent une poterne ouverte dans la muraille et remonterent une courte ruelle au bout de laquelle se trouvait une porte ogivale surmontee d'un ecusson, seule ouverture d'une haute tour.
— Je crains que vous ne trouviez ma maison bien austere, soupira Catherine. J'habite le chatel du capitaine de la ville qui a pris logement ailleurs, dans la grande rue. C'est froid, austere et pas tres gai, mais en ete, c'est acceptable.
Les vacances de Catherine commencaient joyeusement. Odette et ellememe avaient une foule de choses a se dire, Catherine surtout, car la belle recluse de Saint-Jean-de-Losne brulait de connaitre tous les details des fetes auxquelles son amie avait assiste. Catherine se mit en devoir d'apaiser sa fringale. Il etait minuit qu'elle parlait encore...
Le lendemain, ce fut a Odette de se raconter, plus completement qu'elle ne l'avait fait jusque-la. Odette parla du roi Charles et de son entourage qu'elle connaissait si bien. De son cote, Catherine osa parler d'Arnaud. Odette avait souvent vu le jeune homme a la Cour, dans l'entourage du duc d'Orleans.
Tu auras du mal a le faire revenir sur ses pre ventions, fit-elle a son amie. Il est entier, absolu en tout et d'un orgueil infernal. Il hait de bon c?ur tout ce qui est bourguignon et si vraiment tu veux son amour, .il te faudra tout quitter : mari, faveurs, fortune...
Les deux jeunes femmes avaient, en effet, decide d'abolir le vouvoiement entre elles. Leur amitie refusait de s'encombrer plus longtemps de protocole.
— Selon toi, soupira Catherine, je ferais mieux de renoncer a lui ? Mais c'est impossible. On ne renonce pas a laisser battre librement son c?ur.
— Je ne dis pas que tu devrais renoncer. Je dis que tu auras du mal, qu'il te faudra du temps... et une angelique patience. Mais je t'en crois capable. Et puis... tu es si belle, si belle qu'il aura bien de la peine a t'echapper, si difficile soit-il...
Tout en parlant, Odette regardait Catherine, tout juste sortie de l'eau, tordre ses cheveux trempes et s'enrouler dans un grand drap blanc. Il faisait si chaud que les deux amies etaient descendues au fleuve pour s'y baigner.
Sous les murs memes de la ville, la Saone formait une petite crique, si bien abritee par la muraille que l'on pouvait s'y baigner sans etre vu par qui que ce soit, sauf de la rive d'en face. Odette et Catherine avaient nage un long moment dans l'eau, claire et transparente a cet endroit. Puis elles etaient sorties sous la protection des herbes et des roseaux, si hauts qu'ils cachaient leur corps presque jusqu'a la hauteur du cou. Odette, deja drapee dans une piece d'etoffe, s'etait assise sur le sable pour peigner ses cheveux, tandis que Catherine se sechait.
— Est-ce que..., demanda Catherine avec une soudaine timidite, est-ce que messire de Montsalvy a beaucoup de succes aupres des femmes ?
Odette se mit a rire de bon c?ur, tant du ton timide de son amie que de la naivete de la question.
— Beaucoup de succes ? Le terme est faible, ma mie. Tu veux dire qu'il n'y a guere de femme ou de jeune fille qui ne se soit toquee de lui. Il suffit de le regarder, d'ailleurs. Je ne crois pas qu'il existe un homme plus seduisant dans toute l'Europe. Il moissonne les c?urs aussi aisement que la faux du paysan les epis de ble.
— Alors, fit Catherine, en s'efforcant d'avoir l'air detache, je suppose qu'il a de nombreuses maitresses...
Un brin d'herbe entre les dents, Odette s'amusait de lire la jalousie mal cachee sur le visage mobile de Catherine. Elle rit a nouveau, attira la jeune femme aupres d'elle pour la forcer a s'asseoir.
— Que tu es sotte ! Bien sur, Arnaud de Montsalvy n'est pas vierge, et de loin. Mais il prend les femmes comme il boit un verre de vin, quand il en a envie. Et, l'envie passee, il ne s'en soucie pas plus que du gobelet vide repose sur la table. Je ne sais pas s'il existe une femme au monde qui puisse se vanter d'avoir eu de lui autre chose qu'une nuit. Et j'en connais plus d'une qui a pleure et pleure encore. Il ne s'attache jamais. Je crois qu'il meprise les femmes en bloc, hormis une seule : sa mere pour laquelle il professe une profonde et tendre admiration. Maintenant, si tu veux savoir toute ma pensee, je crois que, si une femme a une chance d'attacher enfin ce c?ur insaisissable, cette femme-la n'est pas loin de moi. La difficulte sera seulement de l'obliger a en convenir... mais l'aide que tu apporteras a Yolande d'Aragon peut te servir aupres de lui. La reine de Sicile est honoree, a defaut d'amour, du profond respect et du devouement de messire Arnaud...