Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта. Страница 12
Les jours passaient ainsi, paisibles et reposants pour les deux amies. En attendant le retour de frere Etienne, elles avaient laisse la politique de cote et donnaient a l'amour la preseance dans leurs entre tiens. Elles se levaient tard, descendaient a la riviere pour se baigner, paressaient dans l'eau avant de passer a table, faisaient une courte sieste puis retournaient se baigner a moins qu'elles ne decidassent de sortir a cheval dans la campagne. Le soir, apres le souper, on ecoutait les chansons d'un page ou bien les histoires d'un menestrel de passage. Trois semaines passerent ainsi sans autre fait saillant qu'une lettre d'Ermengarde racontant les derniers potins de la Cour, et les dernieres nouvelles recues :
« Une chose incroyable, ma chere Catherine !,ecrivait la Grande Maitresse. Est-ce que Monseigneur Philippe n'a pas ete oblige de se rendre a Gand en toute hate ? Une femme qui se donnait pour sa propre s?ur, notre chere petite duchesse de Guyenne, y faisait scandale apres avoir ete recue en princesse. En fait, il s'agissait d'une pauvre folle, une religieuse echappee d'un couvent de Cologne. Le duc l'a remise a l'eveque et il ne restera plus au digne prelat qu 'a la reexpedier a son abbesse. Mais ces avatars ont retarde le voyage de Monseigneur a Paris ou il doit etre a l'heure qu'il est. On dit qu'il s'y emploie a se faire payer par Bedford ce qui lui restait du sur la dot de feu la duchesse Michelle, dont Dieu ait l'ame.
Cela donne d'assez jolis maquignonnages entre un prince francais, quoi qu'il en dise, et le regent anglais, qui a deja du lacher Peronne, Roye et Montdidier, plus deux mille ecus, plus le chateau d'Andrevic... et le peage de Saint- Jean-de-Losne, ce qui devrait interesser votre amie. Pour les trois villes, Philippe ne les tient pas encore, car il lui faudra les arracher aux troupes royales... »
La lettre continuait longtemps sur ce ton. Ermengarde n'ecrivait pas souvent, mais, lorsqu'elle prenait la plume, elle couvrait des lieues de parchemin sur sa lancee... Odette en avait ecoute la lecture avec un sourire amer.
— J'admire, dit-elle, la generosite du Regent qui paie ses allies avec ce qui ne lui appartient pas. Il donne Saint-Jean-de-Losne qui est a moi et Monseigneur Philippe accepte. Il ne craint pas de me ruiner !
— Il ne le fera peut-etre pas. Vous conserverez sans doute votre ville, Odette, dit Catherine.
Mais la jeune femme haussa les epaules avec mepris.
— Vous ne connaissez pas encore Philippe de Bourgogne. Son pere m'avait fait donner cette ville parce que je lui etais utile aupres du roi Charles, mais maintenant qu'il est mort, que je ne sers plus a rien, on me reprend ce que l'on m'a donne. Philippe est comme son pere, ma chere amie.
Rapace sous des dehors fastueux. Il ne donne qu'a bon escient et contre valeurs sures...
— Il y a moi, riposta Catherine. Philippe pretend m'aimer. Il faudra bien qu'il m'entende...
Le soir meme, frere Etienne Chariot se presenta au pont-levis et demanda a etre recu. Il etait absolument gris de poussiere, et dans leurs sandales, ses pieds noircis montraient plus d'une egratignure. Mais son sourire etait rayonnant.
— Vous me voyez si heureux de vous trouver reunies, dit-il en saluant les deux femmes. La paix soit avec vous !
— Et avec vous aussi, frere Etienne, repondit Odette. Quelles nouvelles nous apportez-vous ? Mais d'abord asseyez-vous. Je vais vous faire apporter des rafraichissements.
Ce ne sera pas de refus. La route est longue depuis Bourges et peu sure a cette heure. Un capitaine d'aventures bourguignon, Perrinet Gressard, tient la campagne et marche sur La Charite sur-Loire... J'ai eu bien du mal a lui echapper. Mais les nouvelles que je rapporte sont bonnes, excellentes meme pour Madame de Brazey. Le roi a paye rancon pour messire Jean Poton de Xaintrailles et pour le seigneur de Montsalvy qui, a cette heure, doivent avoir repris leur poste en Vermandois. Mais quelles sont vos nouvelles a vous ?
Pour toute reponse, sans hesiter meme une seconde, Catherine lui tendit la lettre d'Ermengarde. C'etait le premier geste de rebellion envers Philippe de Bourgogne qu'elle accomplissait, mais sa determination etait absolue maintenant. Yolande d'Aragon, en rachetant Arnaud, s'etait attache la fidelite de Catherine.
Le cordelier parcourut rapidement le parchemin couvert de l'extravagante ecriture d'Ermengarde et hocha la tete :
— Bedford fait de bien grandes concessions. Il a besoin de Philippe...
autant que le roi a besoin de repit !
— Ce qui veut dire ? demanda Catherine avec un peu d'involontaire hauteur.
Frere Etienne ne se formalisa pas du ton. Sa voix avait autant de douceur que son sourire quand il repondit :
— Que le duc Philippe a quitte Paris, qu'il marche sur Dijon a petites journees pour preparer les noces de Madame de Guyenne... et que le temps des vacances est termine pour la femme du Grand Argentier de Bourgogne.
L'allusion etait plus que transparente. Catherine detourna la tete, mais sourit :
— C'est bien. Je rentrerai a Dijon demain.
— Moi, je reste, fit Odette. Si le duc veut ma ville, il faudra qu'il vienne la prendre. Encore devra- t-il faire enlever mon cadavre des decombres...
— Soyez sure qu'il n'y manquera pas, fit le moine
avec un sourire narquois. Et la Saone est si pres qu'il n'aura guere de peine a s'en debarrasser. Vous ne serez jamais la plus forte. Pourquoi vous obstiner ?
— Parce que...
Odette rougit, se mordit les levres et finalement eclata de rire.
— Parce qu'il est trop tot. Vous avez raison, frere Etienne, je n'ai rien d'une heroine epique et les grands mots ne me vont pas. Je reste simplement parce que j'attends un messager de Monseigneur le duc de Savoie qui ne renonce pas a reconcilier les princes ennemis. Lorsqu'il sera venu, je rentrerai moi aussi a Dijon, chez mes parents.
Retiree dans sa chambre, Catherine passa une partie de la nuit a sa fenetre.
Il faisait un magnifique clair de lune. Sous les murs, la riviere roulait des flots couleur de mercure. Toute la plaine de Saone dormait dans la paix nocturne. Rien, si ce n'est l'aboiement lointain d'un chien et le cri d'une chouette dans un arbre, ne troublait le silence, mais Catherine sentait que les minutes fugitives qu'elle vivait pour l'instant ne se reproduiraient pas avant longtemps. Venaient des jours de combat, des jours d'angoisse et de crainte.
Elle etait maintenant une espionne au service du roi de France. Jusqu'ou donc l'amour d'Arnaud l’entrainerait-il ?
Garin de Brazey rentra chez lui le jour de la Saint- Michel. Il etait tot le matin quand il sauta de cheval dans la cour de son hotel, mais Catherine etait deja sortie, afin de se rendre a la messe. Pour une fois, elle avait abandonne Notre-Dame au profit de Saint- Michel puisque l'on celebrait ce jour-la la fete de l'Archange. Malgre l'inguerissable amour eprouve pour Arnaud, elle n'oubliait pas Michel de Montsalvy qui avait ete son premier, son plus pur amour, un amour quasi divin qui ne s'etait vetu de chair que pour le second des Montsalvy. Elle ne manquait pas, chaque 29 septembre, d'aller aux autels prier pour l'ame du jeune homme si injustement massacre et trouvait une douceur, un apaisement a sa torturante passion, en priant pour le frere bien-aime d'Arnaud.
L'eglise Saint-Michel, situee au bout de la ville, pres du rempart, etait une assez triste batisse : une tour carree sur une vieille nef, des bas-cotes de bois, grossieres reparations du dernier incendie, mais Catherine trouvait que la priere y etait plus facile. Suivant son habitude, elle s'y attarda un moment avec Perrine et la matinee etait deja bien avancee quand elle rentra chez elle.
L'agitation de la rue, les mules et les chevaux qui l'encombraient, les portes de l'hotel grandes ouvertes et toute la troupe des jeunes apprentis copistes, sortis de chez les parcheminiers voisins, qui bayaient aux corneilles devant les bagages, tout cela lui apprit le retour de son epoux. Elle n'en fut pas surprise car elle s'attendait chaque jour a le voir revenir. Seulement contrariee. Elle eut prefere qu'il revint plus tard dans la journee pour avoir le temps de se mieux preparer a une entrevue dont elle ignorait le deroulement.