Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 53

Catherine chargea son attitude de toute l'humilite desirable et repliqua modestement :

— J'obeirai, messire. Le maitre est bon pour moi. N'a-t-il rien dit d'autre ?

Son regard violet, suppliant, croisa le regard gris, immobile, de Tristan, y vit passer un rapide eclair.

— Si. Il a montre une grande joie devant ton desir de reprendre une vie normale. Il te fait dire qu'il y a fete ce soir chez le Roi, mais que, sans doute, tu es encore trop faible pour danser devant la Cour. En revanche, le maitre viendra cette nuit, apres la fete... s'assurer par lui-meme de cet heureux retour a la sante.

Un frisson desagreable parcourut la peau de Catherine. Elle avait compris. Ce soir, La Tremoille viendrait reclamer les droits qu'il se croyait sur elle. Et comme il viendrait apres une longue soiree joyeuse, il serait ivre, plus que certainement, et donc au-dela de toute possibilite de raisonnement. La perspective n'avait rien de seduisant et Catherine sentit sa gorge se serrer. Cependant, Tristan, raide et hautain comme il se doit pour un valet de grande maison oblige de se commettre avec la racaille, se dirigeait vers la porte. Au moment de la franchir, il se retourna, la main sur le vantail, et, negligemment :

— Ah ! j'oubliais, on a mis tes objets personnels dans l'aumoniere de la robe. Monseigneur est trop bon envers une fille de ta sorte. Il a tenu a ce qu'on te rende tout ce qui t'appartient.

La presence de Chryssoula retint Catherine de se jeter sur les vetements pour fouiller l'aumoniere. Tout ce qui lui appartenait ? Mais elle n'avait rien, qu'une chemise dechiree, quand elle etait arrivee chez Gilles de Rais. Hormis, evidemment, les deux petites boites de Guillaume l'Enlumineur qu'elle gardait dans une poche sous ladite chemise, qu'elle avait transferees, apres son bain, dans la dalmatique blanche et verte qu'on lui avait donnee et qu'elle avait encore avec elle. Alors de quoi parlait Tristan ?

Apres quelques ablutions precautionneuses, car elle avait l'impression, depuis quelques jours, que son teint palissait legerement et qu'une ligne plus claire se mon trait a la racine de ses cheveux, elle enfila les vetements que lui tendait Chryssoula et qui etaient simples et propres mais sans luxe. Une robe de futaine grise, une chemise de toile fine, une guimpe plissee et une cornette de toile blanche, une ceinture et une aumoniere de cuir assez vaste et qui parut a Catherine etrangement lourde. Apparemment, La Tremoille ne tenait pas a ce qu'elle se fit remarquer, elle devait se confondre avec les servantes et n'attirer en rien l'attention des habitants du chateau.

En accrochant l'aumoniere a la ceinture bouclee autour de ses hanches les doigts de Catherine se firent un peu febriles. Elle grillait de curiosite, encore que l'epaisseur du cuir lui rendit impossible de deviner ce qu'il y avait dedans. Mais elle s'empecha de l'ouvrir au prix d'un petit effort de volonte. Pourtant, s'apercevant qu'une ample mante de fine laine noire avait ete jointe au reste, elle la jeta sur ses epaules et fit signe a Chryssoula qu'elle etait prete. La vieille ouvrit la porte et preceda Catherine a travers l'immense et somptueuse chambre du Grand Chambellan, veritable temple de l'or ou meme les rideaux du lit et les coussins des sieges avaient les reflets du metal magique, puis dans l'etroit escalier du donjon.

La, il faisait sombre et, a l'abri de sa mante, Catherine explora hativement l'aumoniere. Il y avait un mouchoir, un chapelet, quelques pieces de monnaie, puis ses doigts decouvrirent un petit rouleau de parchemin et, enfin, un objet qui les fit trembler de joie et qu'ils parcoururent deux fois, trois fois pour mieux s'assurer de sa realite : une dague ! La dague a l'epervier des Montsalvy, le poignard d'Arnaud qu'elle avait du laisser dans ses vetements de garcon. Une fervente action de grace jaillit du c?ur de Catherine a l'adresse de Tristan. Il avait pense a tout ! Il veillait bien reellement sur elle et avait devine qu'elle souhaiterait frapper plutot que subir le Grand Chambellan !

Ce fut d'un pas leger qu'elle descendit les derniers degres de l'escalier derriere Chryssoula qui trottait comme une souris. Elle etait libre !

Libre de vivre ou de mourir, libre de tuer ou de faire grace. En debouchant dans la cour, elle leva vers le grand ciel ensoleille un regard triomphant, joyeux. Elle avait maintenant le moyen d'abattre son ennemi, d'assouvir sa vengeance ! Qu'importait ce qu'il adviendrait d'elle par la suite ?

Mais elle n'etait pas encore assez detachee de la terre pour ne pas bruler de savoir ce qu'il y avait sur le rouleau de parchemin. Tristan, sans doute, y avait inscrit un message important. Comment s'y prendre pour le lire en paix ? Se declarer fatiguee pour remonter ? Deja ! Cela semblerait peut-etre suspect. Mieux valait attendre un peu. Une demi-heure de plus ou de moins n'aurait sans doute guere d'importance.

Dans la vaste cour du chateau, il y avait beaucoup de monde, beaucoup de mouvement. Une compagnie d'archers montait aux creneaux, sous les rayons du soleil qui faisaient etinceler leurs chapeaux de fer. Emergeant de la voute profonde, en pente raide, ou s'enchassait la herse presentement relevee, des chariots charges de bois remontaient peniblement jusqu'a cette haute cour en plate-forme.

En revanche, des lavandieres descendaient vers le fleuve, des corbeilles de linge fierement portees sur la tete. Pres de l'imposant mais severe logis royal, des chasseurs, deja a cheval, portant sur leurs poings gantes de cuir epais des faucons encapuchonnes, attendaient un autre chasseur, sans doute de haut rang, tandis qu'un groupe de dames de la cour gagnaient le verger en caquetant comme des perruches, sous les fleches ennuagees de leurs hennins. Catherine, la vieille Chryssoula sur les talons, erra un moment au milieu de tout ce monde, goutant le simple plaisir du soleil sur ses epaules. Le mois de mai etalait toute sa gloire naissante en fleurs fraiches, emaillant le verger que l'on apercevait au-dela d'une porte, basse et ajouree, et qui s'etalait sur la longue terrasse fermee de murailles dominant la Loire. C'etait comme si la nature rejetait enfin le cauchemar de l'hiver et du tardif printemps, comme si la terre meurtrie du royaume cherchait a prendre sa revanche sur tant de ravages, tant de larmes et de sang. Et Catherine decouvrait avec emerveillement qu'a l'ombre de cette forteresse poussaient encore des roses. Il y avait si longtemps qu'elle n'avait vu une rose !

Attiree par la fraiche verdure du verger, elle se dirigeait vers lui tout doucement lorsque quelques dames accompagnees de pages en sortirent, des jeunes filles surtout, portant des couronnes de fleurs sur leurs longs cheveux denoues et habillees toutes de la meme robe bleu pale. Elles entouraient une grande femme hautaine et superbe dont l'orgueilleuse beaute se rehaussait d'une somptueuse robe de brocart orange et or qui semblait faite de meme matiere que son opulente chevelure rousse. Des emeraudes etincelaient a sa gorge largement decolletee et sur l'immense hennin, haut comme une fleche d'eglise, qui couronnait royalement la nouvelle venue. Sur son passage, chacun s'ecartait respectueusement et saluait. Catherine, sans doute, eut pris cette femme pour la reine en personne si elle ne l'avait reconnue et n'eut senti aussitot son c?ur se gonfler de fiel. Les pieds soudain rives dans la poussiere de la cour, les yeux brulant de haine, elle regardait s'avancer le gracieux escadron azure des filles d'honneur entourant la dame de La Tremoille, la femme qui avait ose aimer Arnaud et le faire torturer parce qu'il l'avait repoussee, celle dont elle, Catherine, s'etait jure la mort.

Elle sentit que Chryssoula, inquiete, la tirait par sa mante, mais elle etait incapable de bouger. Jamais Catherine n'avait eprouve a ce point, aussi cru, aussi brutal, le desir de tuer. Si rigide etait son immobilite que la grande femme rousse la remarqua. Elle fronca ses epais sourcils, hela la jeune femme d'un geste autoritaire :