Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 54

— He ! la fille ! Viens un peu ici !

Ni pour or ni pour argent Catherine n'aurait pu faire un pas. Elle etait comme petrifiee. Seuls ses yeux charges de colere vivaient encore, mais, derriere son epaule, elle sentait trembler Chryssoula. L'une des jeunes suivantes dut reconnaitre la vieille Grecque car elle mur mura quelques mots a l'oreille de sa maitresse dont les belles levres s'arquerent en un meprisant sourire en meme temps qu'elle haussait les epaules.

— Oh ! Je vois ! Encore une de ces filles de joie dont mon epoux fait ses delices ! Grand bien lui fasse s'il aime a ce point s'encanailler !

Et la troupe brillante s'engouffra dans le logis royal sans plus s'occuper de Catherine. La vieille se mit a la tirer si vigoureusement qu'enfin elle bougea, se laissant mener sans resistance vers le donjon, et songeant avec rage que le jour ou elle abattrait La Tremoille, elle trouverait le temps de s'occuper de sa femme.

Elle allait franchir, avec sa gardienne, la porte basse quand elle se sentit soudain happee par deux mains vigoureuses qui la firent pivoter sur elle-meme. Malgre les habits de paysan, couverts de terre et usages qu'il portait, elle reconnut Fero et poussa un cri de frayeur instinctive tant le visage du chef tzigane etait transfigure.

— Voila des jours que j'erre autour de ce chateau, que j'entre dans cette cour parce que j'esperais te revoir, avoir de tes nouvelles ! Et je te revois !

— Va-t'en, Fero, s'ecria-t-elle. Tu ne dois pas rester ici ! Les Tziganes n'ont pas le droit d'entrer ici sans permission. Si tu etais pris...

— Cela m'est egal ! Je ne pouvais plus vivre sans te revoir ! Le poison d'amour est en moi, Tchalai, il brule mon ame et mon sang... et c'est toi qui l'y as mis !

Il n'etait pas possible de se tromper sur la passion qui flambait dans le regard du jeune bohemien. Catherine s'en epouvanta d'autant plus que la vieille Chryssoula faisait de vains efforts pour l'arracher des mains de Fero et poussait des cris inarticules.

— Par pitie, va-t'en ! Si les gardes...

Elle n'avait pas plus tot prononce le mot qu'attires par les cris de la vieille un peloton d'archers accourait. Chryssoula devait etre connue car ils obeirent sans discuter a l'ordre qu'elle donna en deux gestes, l'un designant Fero, l'autre la porte du chateau. Empoigne par quatre gaillards solides, le chef tzigane fut entraine de force vers la porte non sans crier pour Catherine :

— Je t'aime ! Tu es ma femme ! Je reviendrai.

En un instant, il avait disparu et Catherine, soulagee malgre tout, suivit docilement Chryssoula qui donnait tous les signes d'une grande agitation. La courte promenade permise par le maitre avait ete trop fertile en evenements pour le gout de la vieille. Quelques minutes plus tard, Catherine se retrouvait dans sa chambre, enfermee a double tour... mais seule, bienheureusement seule ! Elle oublia aussitot Fero, en profita pour vider sur le lit le contenu de son aumoniere, s'empara du petit rouleau de parchemin sur lequel Tristan avait ecrit : « N'ayez aucun souci de Sara. Je sais ou elle est et je veille sur elle, comme je veille sur vous. »

La poitrine de Catherine se degonfla d'un seul coup en un enorme soupir. Ces quelques lignes effacaient peremptoirement la phrase menacante de Gilles de Rais. Pas un instant, la jeune femme ne mit en doute l'affirmation de Tristan. Il y avait, dans l'etrange ecuyer du connetable de Richemont, une puissance de volonte, une force tranquille qui la subjuguait. Elle croyait capable de tout l'homme qui, traque par les gens de Gilles de Rais, avait trouve moyen non seulement de leur echapper, mais encore de se faire engager comme valet par le Grand Chambellan. Si Tristan l’Hermite tenait Sara sous sa protection, Catherine ne devait plus se tourmenter.

L'esprit plus libre, elle laissa couler sur elle les mortelles heures du jour. Sa porte ne se rouvrit pas avant que les ombres du soir n'eussent envahi la piece. Chryssoula vint alors allumer les chandelles et porter un nouveau plateau qui, cette fois, ne contenait aucun message. Mais, lorsque Catherine eut termine son repas, la vieille esclave, au lieu de se retirer, fut rejointe par sa s?ur. Toutes deux entreprirent la toilette de Catherine. Elle fut lavee, parfumee, paree d'une robe de nuit de fine mousseline blanche qui n'enveloppait son corps que d'un leger nuage, puis soigneusement installee dans le lit dont les draps de toile avaient ete changes pour des draps de soie pourpre.

Tous ces preparatifs firent fremir la jeune femme. Ils n'etaient que trop significatifs. On l'accommodait de la sorte pour etre plus agreable aux gouts orientaux de son nouveau maitre. Tout a l'heure, cette porte, par laquelle sortaient maintenant les deux femmes, se rouvrirait sur l'enorme et somptueuse personne du Grand Chambellan. A l'evocation de ce gros corps flasque s'affalant sur le sien, Catherine retint un haut-le-c?ur et ferma les yeux. Elle revit la bouche molle, les dents gatees, la barbe trop parfumee. Vivement, elle sauta a bas du lit, courut a son aumoniere, en tira sa dague et la glissa sous son chevet a portee de la main. Tout de suite, elle se sentit rassuree. Qu'avait-elle a craindre, desormais ? Quand La Tremoille se jetterait sur elle, la dague d'Arnaud frapperait et tout serait dit. Sans doute n'en sortirait-elle pas vivante... a moins que Tristan, qui lui avait remis l'arme dans une intention bien precise, n'eut arrange sa fuite ? Si seulement elle avait pu lui parler, ne fut-ce qu'un instant ? Peut-etre etait-il tout pres d'elle, attendant, lui aussi, que, dans cette chambre, il se passe quelque chose...

Des heures coulerent sans que rien ne se produisit. Etendue sans bouger dans son grand lit, Catherine percevait vaguement les echos de la fete royale, des cris, des rires, des chansons a boire. La pieuse reine Marie, epouse de Charles VII, devait arriver prochainement de Bourges. Le Roi, apparemment, en profitait pour se distraire avant son arrivee avec ses compagnons de plaisir habituels... Catherine entendit crier la minuit, puis ce fut la releve des archers de garde.

Combien de temps lui faudrait-il attendre encore ? Les chandelles s'usaient deja ; bientot, elles s'eteindraient... La Tremoille, peut- etre, etait trop ivre pour avoir garde le souvenir de son rendez-vous galant...

La jeune femme se bercait de cette agreable illusion quand elle sursauta, retenant un cri. La porte de sa chambre s'ouvrait doucement...

Une instinctive et muette priere monta de son c?ur a ses levres, mais s'acheva bientot. Ce n'etait pas le Grand Chambellan, c'etait une jeune fille couronnee de fleurs et vetue de soie bleue, l'une des suivantes de la dame de La Tremoille. Elle tenait a la main un chandelier allume qu'elle posa sur le coffre.

Un instant, elles se regarderent, la belle adolescente debout au pied du lit, Catherine assise dans ce meme lit, l'une avec une curiosite dedaigneuse, l'autre avec une surprise non deguisee. Enfin la jeune fille ouvrit la bouche :

— Leve-toi, ordonna-t-elle. Ma maitresse veut te voir.

— Moi ? Mais je dois attendre ici...

— L'arrivee de Monseigneur ? Je sais. Mais sache, a ton tour, fille d'Egypte, que, lorsque ma maitresse ordonne, le Grand Chambellan lui-meme s'incline. Habille-toi et suis-moi. Je t'attends a cote. Mais fais vite si tu tiens a ton dos. La maitresse n'est pas patiente, lanca-t-elle avec insolence.

La jeune fille sortit, laissant Catherine interdite et assez indecise.

Que lui voulait la dame de La Tremoille ? Que signifiait cet ordre, venu en pleine nuit, et qui risquait de detruire tous ses plans ? Devait-elle obeir ? Mais, sinon, comment refuser ?

Catherine decida qu'elle n'avait pas le choix, et qu'elle ne risquait peut-etre pas grand-chose a savoir ce qu'on lui voulait. Pour l'orgueilleuse comtesse, elle n'etait, apres tout, qu'une fille d'Egypte promise aux plaisirs de son epoux, moins qu'un chien ou un objet, un etre dont, certainement, elle n'etait pas jalouse. Les nombreux amants de Catherine de La Tremoille devaient la mettre a l'abri de ce genre de sentiment. Est-on jalouse d'une montagne de graisse ? Le couple n'etait uni que par des gouts communs pour l'or, la puissance et la debauche.