Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 52
Depuis, Chryssoula et Nitsa le servaient fidelement et le suivaient dans les meandres les plus sombres de son existence. Elles avaient toujours la garde des femmes que La Tremoille attirait et se reservait.
Et elles etaient tellement semblables l'une a l'autre qu'au bout de cinq jours Catherine etait encore incapable de les distinguer.
La presence continuelle de ces femmes l'obsedait. Elle eut cent fois prefere la solitude a ces ombres silencieuses, ces visages mures sur leur secret ou les yeux seuls avaient l'air de vivre. Encore Catherine eprouvait- elle un malaise quand le regard de sa gardienne du moment tournait dans son orbite et glissait vers elle... De plus, la joie qu'elle avait ressentie en reconnaissant Tristan sous la defroque d'un valet s'etait estompee. Elle avait espere qu'il viendrait aupres d'elle dans les heures suivantes, mais, en dehors de La Tremoille, aucun homme n'avait franchi le seuil de sa chambrette. Seules, les deux vieilles Grecques paraissaient en avoir la permission.
Ces visites biquotidiennes du Grand Chambellan etaient pour la jeune femme autant d'epreuves. Il etait, avec elle, d'une amabilite qui l'ec?urait d'autant plus qu'elle etait obligee d'y repondre par une amabilite egale, nuancee, au surplus, d'humilite comme il convient a une pauvre fille des quatre vents. Elle s'obligeait a demeurer au fond de son lit et a se faire infiniment plus faible et plus malade qu'elle n'etait, tant elle avait peur qu'il n'en vint a lui redemander d'etre «
gentille » avec lui. La seule idee d'un contact intime avec ce monument de graisse jaune lui soulevait le c?ur: Elle voulait sa perte, elle voulait, de toute la force de sa haine, venger Arnaud, les siens et elle-meme de ce tyran sans grandeur qui les avait reduits a la misere et menait le royaume a sa ruine. L'effort qu'il lui fallait fournir, chaque jour, pour ne rien montrer de ses sentiments profonds et pour sourire, etait surhumain. Elle avait besoin, pour y parvenir, d'evoquer ce moment, pour lequel elle avait vecu durant tant de mois, ou elle tiendrait enfin son ennemi a sa merci. Alors, elle retrouvait en elle des ressources d'energie nouvelle. Mais elle s'etait jure une chose, a l'aube de cette nuit infernale avec Gilles de Rais : meme pour mener a bien sa mission, meme pour attirer La Tremoille a Chinon, elle n'accepterait de se donner a cet etre si profondement corrompu que son aspect physique avait fini par s'en ressentir. Si vraiment elle ne parvenait a le tenir a distance avant de l'avoir persuade de quitter Amboise pour Chinon, Catherine etait decidee a tuer La Tremoille, purement et simplement, quitte a etre executee ensuite. Du moins ne la tuerait-on point sans l'entendre.
Mais, pour tuer, il fallait une arme, et d'armes elle n'en avait point.
Elle comptait meme sur Tristan pour lui en faire passer une. Encore eut-il fallu pouvoir communiquer avec lui...
Toutes ces idees hantaient la jeune femme durant les longues heures d'immobilite au fond de ses courtines rouges. Les bruits du chateau, appels des guetteurs, releves des gardes, cris des servantes, ordres militaires, galop de chevaux, echos de musique etaient les seules distractions de Catherine qui mourait d'ennui. Tout le reste du temps, elle fixait une statue de l'archange saint Michel placee sur un petit autel en face de son lit, s'etonnant de trouver une statue pieuse dans la chambre que La Tremoille reservait a ses ephemeres maitresses. Cette vie vegetative, pourtant, avait du bon. Elle permit a Catherine de recuperer pleinement ses forces. Soumise a un repos force, bien nourrie, bien soignee, elle recouvra vite toute sa vitalite.
Quand vint le sixieme jour, elle decida qu'il etait temps de passer a l'action. Un mince incident vint lui rappeler l'urgence qu'il y avait a brusquer les evenements. Ce matin-la, comme elle avait coutume de le faire a l'heure ou tout le chateau prenait son premier repas, c'est-a-dire, apres la messe matinale, la vieille Chryssoula - a moins que ce ne fut Nitsa - apporta a Catherine de quoi se restaurer : un plat d'alouettes roties, une cruche de vin et un pain... dans lequel la jeune femme trouva une mince bande de parchemin roule.
Elle se hata de le faire disparaitre pour le sauver des yeux aigus de la vieille et ne le deroula que lorsque sa gardienne fut repartie avec les plats vides. Il ne contenait que .trois mots, mais si menacants dans leur concision que Catherine se sentit galvanisee. « N'oublie pas Sara
», disait le billet, et elle comprit qu'il venait de Gilles de Rais, que le seigneur a la barbe bleue s'impatientait et que, dans sa hate de posseder le fabuleux diamant, il pouvait etre dangereux. Comment faire pour lui arracher Sara ? Voler le diamant ? Catherine l'eut fait volontiers s'il s'etait agi seulement de sauver Sara, mais il fallait qu'elle demeurat au chateau et, de plus, elle n'avait aucune idee de l'endroit ou La Tremoille rangeait le joyau.
Demander a La Tremoille la liberation de Sara ? Certes, ce serait sans doute facile car le gros chambellan semblait tres desireux de lui plaire. Ne lui avait-il pas, la veille meme, apporte une lourde et belle chaine d'or en laissant entendre que, de sa complaisance, dependraient le nombre et la beaute des cadeaux qu'elle recevrait ? Mais, si l'on arrachait Sara par force a Gilles de Rais, ne se vengerait-il pas en denoncant la veritable identite de Catherine que rien, des lors, ne sauverait?
Sa claustration, soudain, lui parut insupportable. Elle ne pouvait pas rester plus longtemps au fond de son lit et, quand la vieille revint, elle la trouva debout.
— Habille-moi, ordonna Catherine. Je veux sortir.
La vieille la regarda d'un air incredule puis hocha la tete negativement, en designant du doigt la porte unique de la chambrette qui donnait directement sur l'immense piece ronde ou logeait La Tremoille. Catherine comprit que sa gardienne ne ferait rien sans ordre.
— Va chercher le maitre, alors, fit-elle sechement. Dis-lui que je veux le voir.
L'air affole de la femme n'eveilla aucune compassion chez Catherine qui s'avanca vers elle.
Je suis plus forte que toi, lui dit-elle d'un ton menacant. Si tu ne vas pas chercher le maitre, je te jure que je sortirai d'ici, que tu le veuilles ou non. Et en chemise s'il le faut !
L'air determine de Catherine decida la vieille qui, faisant a la jeune femme signe de l'attendre, sortit de la piece dont, cependant, elle referma soigneusement la porte derriere elle. Pendant ce temps, Catherine alla jusqu'a la petite fenetre et se hissa sur la pointe de ses pieds nus pour voir au-dehors. De son lit, sur lequel une longue fleche de soleil etait venue se poser, elle avait apercu un coin de ciel d'un magnifique bleu profond et l'air qui entrait par la mince ogive etait doux et tiede.
De son etroit observatoire, elle apercut un coin etincelant du fleuve, un peu d'herbe verte et quelques arbres de l'ile Saint-Jean. Un oiseau raya le ciel de son vol rapide et une folle envie s'empara de Catherine d'echapper a cette noire forteresse, de courir se plonger au c?ur meme de ce printemps glorieux. Sa jeunesse, reveillee en sursaut, reclamait imperieusement sa part, balayant pour un seul instant le desir de vengeance, l'ambition, le souci des jours a venir. Oh
! n'avoir qu'une maisonnette au bord d'un grand fleuve, avec un jardin fleuri, et y vivre doucement entre son fds et l'homme aime ! Pourquoi donc ce lot si simple, qui etait celui de tant de femmes, lui etait-il a jamais refuse ?
Le retour de la vieille coupa court aux tristes meditations de Catherine. Elle rapportait sur ses bras des vetements. Un valet l'accompagnait et Catherine eut un tressaillement de joie en reconnaissant Tristan.
— Le maitre ne peut venir, dit-il d'un ton neutre, sans meme regarder la jeune femme. Il permet que tu t'habilles et que tu descendes faire quelques pas dans la cour. Mais Chryssoula devra t'accompagner. Toi, tu demeureras sous sa surveillance et tu rentreras des qu'elle te l'ordonnera. - La voix lente du Flamand se chargea d'une menace - Prends bien garde a obeir, fille d'Egypte, car il ne fait pas bon desobeir au maitre.