Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 16

— Qu'en savez-vous ?

— Je les ai entendus, tout a l'heure, dans le jardin aux herbes.

Prenez garde ! C'est pour vous qu'il est venu !

Il n'avait pas eu le temps d'en dire davantage. Ermengarde, a son tour, arrivait flanquee de Gillette et de Margot que sa personnalite puissante semblait fasciner. Catherine avait remis a plus tard la suite des explications. D'ailleurs, Josse s'etait evanoui dans l'ombre comme un vrai fantome. Mais c'etait a cela qu'elle songeait durant le frugal repas de pois chiches, de lait et de pommes tandis que son regard allait du long visage calme de Van Eyck a la large figure enjouee et pleine d'animation d'Ermengarde. Celle-ci etait joyeuse comme elle ne l'avait pas ete depuis de longs jours et Catherine se disait que Josse pouvait bien avoir raison : c'etait le peintre qu'elle attendait, mais, alors, quel rapport cette rencontre pouvait-elle avoir avec Catherine elle-meme ?

Elle n'etait pas femme a laisser longtemps sans reponse une question aussi irritante et comme, le repas termine, Ermengarde se levait en s'etirant et en baillant effroyablement, elle decida de passer a l'attaque. Apres tout, jusqu'a preuve du contraire, le peintre etait son ami. Il allait s'agir pour lui de le prouver !

Comme la grosse comtesse quittait deja la piece et que Van Eyck prenait une chandelle pour lui faire escorte, Catherine le retint :

— Jean ! Je voudrais vous parler !

— Ici ? fit-il en jetant un regard inquiet vers le groupe de montagnards qui, assis en rond a meme le sol autour d'un plat de pois chiches, mangeaient lentement dans un coin de la grande salle.

— Pourquoi non ? Ces gens ne connaissent pas notre langue. Ce sont des Basques. Voyez leurs yeux sauvages et leurs visages sombres. Ils ne font aucune attention a nous. Et puis, ajouta-t-elle avec un mince sourire, qu'est-ce qui vous fait penser que les paroles que nous allons echanger soient de nature a interesser le premier venu

? — Un ambassadeur se mefie toujours... par definition ! repliqua Van Eyck, avec un sourire etrangement frere de celui de Catherine.

Mais vous avez raison : nous pouvons parler. De quoi ?

Catherine ne repondit pas tout de suite. Elle alla lentement jusqu'a la grossiere cheminee ou le feu baissait peu a peu, appuya son bras au manteau de l'atre et posa son front dessus. Elle laissa un instant la chaleur penetrer toutes les fibres de son corps. Elle aimait le feu pour cette etrange dualite qu'il y avait en lui et qui, selon les circonstances, pouvait en faire le meilleur ami ou le pire ennemi de l'homme. Le feu qui rechauffe la chair transie, qui cuit le pain et eclaire la route au c?ur de la nuit la plus obscure, le feu qui detruit et ravage, qui torture et aneantit !... Quand elle sentait qu'il allait lui falloir livrer bataille, Catherine aimait qu'il y eut du feu aupres d'elle.

Jean Van Eyck respecta son silence. Son ?il d'artiste etait d'ailleurs captive par la longue et mince silhouette noire qui se detachait sur le fond rougeoyant. Le drap de la robe epousait les courbes de son corps avec une precision anatomique. Le fin profil paraissait cisele d'or et les grands cils qui cachaient les prunelles violettes y mettaient une ombre emouvante. Et le peintre se dit, avec un frisson, que jamais cette femme n'avait ete aussi belle ! La vie et la souffrance lui avaient ote l'extreme fraicheur de la premiere jeunesse, mais l'avaient laissee affinee. Sa beaute etait devenue plus humaine et plus distante a la fois.

Elle avait la splendeur pure d'une creature celeste, pourtant l'attrait charnel qui s'en degageait etait presque insoutenable.

« Si le Duc la revoit, songea Van Eyck, il se trainera a ses pieds comme un esclave... ou alors il la tuera ! »

Mais il n'osa pas s'interroger sur ses propres sensations. Dans le marasme de ses pensees, une seule chose apparaissait en clair : le desir imperieux, forcene, de fixer encore une fois sur un tableau cette torturante beaute ! Il decouvrait que sa derniere ?uvre, le double portrait d'un jeune bourgeois nomme Arnolfini et de sa jeune femme, ?uvre dont il etait justement fier, lui semblait terne, maintenant, aupres du portrait qu'il pourrait faire de cette nouvelle Catherine. Et il etait si bien perdu dans sa contemplation que la voix de la jeune femme le fit tressaillir.

— Jean, dit-elle doucement, pourquoi etes-vous venu ?

Elle ne le regardait pas, mais devina tout de meme la protestation qui allait jaillir.

— Non, ajouta-t-elle vivement, ne vous donnez pas la peine de mentir ! Je sais bien des choses ! Je sais qu'Ermengarde vous attendait et aussi que j'ai quelque chose a voir dans cette attente. Je veux savoir pourquoi.

Elle quitta sa pose contemplative, se detourna et lui fit face. Les grands yeux qui interrogeaient se poserent sur lui. De nouveau, l'artiste se sentit trembler devant tant de grace.

— Ce n'est pas moi, particulierement, que dame Ermengarde attendait, Catherine, c'etait un messager de Bourgogne. Le hasard veut que ce soit moi...

— Le hasard ? Pensez-vous que j'aie tout oublie des habitudes du duc Philippe ? Vous etes son envoye secret prefere... pas un quelconque messager ! Que venez-vous dire a la comtesse ?

— Rien !

— Rien ?

Van Eyck eut un sourire amuse et poursuivit :

Mais non, rien, ma belle amie ! Je n'ai rien a lui dire.

— Auriez-vous quelque chose a me dire... a moi ?

— Peut-etre ! Mais je ne vous le dirai pas !

— Pourquoi ?

— Parce que l'heure n'est pas encore venue !

Comme les fins sourcils de la jeune femme se froncaient, le peintre s'approcha d'elle et lui prit les mains.

Catherine ! J'ai toujours ete votre ami... et j'aurais passionnement desire etre davantage ! Je vous jure sur mon honneur de gentilhomme que je suis toujours votre et que, pour rien au monde, je ne voudrais vous faire du mal. Ne pouvez-vous me faire confiance ?

Confiance ? Tout cela est si bizarre, si trouble ! Comment a-t-on su... en Bourgogne, que j'etais avec la dame de Chateauvillain ?

Est-ce l'astrologue du duc qui l'a lu dans les etoiles ?

Cette fois, le peintre se mit a rire.

Vous n'en croyez rien et vous avez raison ! C'est dame Ermengarde qui a fait tenir la nouvelle ! Un messager par elle envoye...

Un cri de colere lui coupa la parole.

— Elle ! Elle a ose ?... Et elle se dit mon amie ?

Elle est votre amie, Catherine, mais elle n'est que votre amie...

pas celle de l'homme dont vous portez le nom. Voyez-vous, elle pense sincerement, et elle a toujours pense, que vous faisiez fausse route, que vous ne pourriez jamais trouver le bonheur dans la direction que vous avez choisie. Il semble, avouez-le, que le destin lui ait toujours donne raison...

Ce n'est pas a elle d'en juger ! Il y a quelque chose qu'elle n'arrivera jamais a comprendre : c'est l'amour que j'ai pour mon epoux ! Je sais bien qu'a la cour du duc Philippe on decore du nom d'amour des sentiments tres divers dans lesquels le desir tient la plus grande place.

Mais mon amour a moi n'est rien de semblable. Arnaud et moi ne formons qu'un seul etre, une seule et meme chair ! Je souffre de ses douleurs et si l'on me coupait en morceaux, chacun de ces morceaux proclamerait encore que j'aime Arnaud... Mais, ni Ermengarde ni le duc ne peuvent comprendre ce genre de sentiment !

— Croyez-vous ? Dame Ermengarde, c'est possible. Elle est uniquement maternelle et elle vous aime comme sa propre fille. Ce qui vous tourmente, c'est qu'elle porte au duc Philippe un sentiment analogue. Elle ne lui a jamais menage les critiques et les pires verites, mais elle l'aime comme une mere, et son c?ur est meurtri d'etre desormais proscrite parce que son fils a pris les armes contre Philippe.

Elle a pense lui faire plaisir en lui parlant de vous. Une maniere comme une autre de lui prouver qu'elle lui garde une tendresse !...