Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 15
Sa mine defaite et son attitude rigide frapperent le religieux qui, doucement, secoua la bride du cheval.
— Ma fille ! Vous etes souffrante ?
Sans bouger, les yeux toujours fixes a l'inquietant embleme, Catherine demanda :
— Ce seigneur qui vous est arrive... Quel est-il ?
— Un envoye personnel de Monseigneur le Duc Philippe de Bourgogne.
— Un envoye ? Vers qui ? En quel pays ?
— Comment voulez-vous que je le sache ? Sans doute vers le souverain de Castille, ou le roi d'Aragon, a moins qu'il ne s'agisse du roi de Navarre. Mais vous voila bien nerveuse, ma fille ? Venez ! Le repos vous fera du bien.
Un peu rassuree, Catherine se decida a descendre de son cheval, au moment precis ou Ermengarde et le reste de la troupe penetraient en trombe dans la cour de l'hospice. La comtesse semblait fort mecontente. Tres rouge, les levres pincees, les yeux fulgurants, elle interpella Catherine furieusement :
— Ah ! ca, ma mie, a quoi jouez-vous ? Voila des heures que nous vous galopons derriere sans pouvoir vous rattraper!
— Je suis lasse de perdre du temps, Ermengarde ! retorqua la jeune femme sechement. Il y a sur votre route trop de gens avec qui vous trouvez plaisir a bavarder. J'ai craint de ne point parvenir, ce soir, dans cette sainte maison et j'ai pris les devants.
— Il me semble pourtant... commenca la comtesse.
Mais les mots moururent sur ses levres tandis qu'un eclair s'allumait dans ses yeux gris. Elle venait, elle aussi, de reconnaitre les armes de l'officier. Un large sourire etira ses levres soulignees d'une ombre de moustache.
— On dirait que nous aurons de la compagnie, ici ? dit-elle avec un entrain qui n'echappa pas a Catherine. Des amis, sans doute !
Catherine eut un froid sourire.
— Des amis ? Je vous conseillerais plutot, ma chere amie, de fuir et d'eviter le seigneur qui possede de telles armoiries. Oubliez-vous que vous etes proscrite, en fort mauvais termes avec le duc Philippe ?
— Bah ! fit Ermengarde avec une belle insouciance. Nous voila bien loin de Bruges et de Dijon. De plus, j'ai garde quelques amis fideles aupres de Monseigneur Philippe ! Enfin, vous le savez, je n'ai jamais ete peureuse. J'aime affronter les choses en face !
Et, relevant le bas de sa robe de velours pourpre, montrant de longs pieds etroits chausses de bottes solides, la dame de Chateauvillain se dirigea vers la porte sur laquelle l'officier se tenait toujours, regardant venir a lui cette imposante personne qui, de toute evidence, ne lui imposait guere. Elle l'interpella :
— Dis-moi, l'ami, qui est ton maitre ?
— Ambassadeur de Monseigneur le duc Philippe de Bourgogne, comte de Flandre, de...
— Fais-nous grace des titres du duc, je les connais mieux que toi et nous serons encore la au lever du soleil ! Dis-moi plutot qui est cet ambassadeur ?
— Qui etes-vous vous-meme pour interroger de la sorte, dame ?
La colere n'eut pas le temps d'empourprer les joues, deja d'un beau rouge sombre, de la comtesse. Une main etroite mais ferme venait d'ecarter l'officier tandis qu'un homme jeune encore, vetu avec une simplicite qui n'excluait pas une certaine elegance, de daim feuille-morte, apparaissait sur le seuil. Sa tete nue montrait de courts cheveux blonds fortement melanges de gris. Le reflet du feu eclaira un visage etroit aux levres si minces qu'elles semblaient scellees. Un long nez droit les surmontait. Le regard glacial de deux yeux bleus, legerement globuleux, enveloppa la douairiere furieuse, mais, brusquement, leur expression changea : un sourire detendit l'ennui des traits reguliers tandis que les yeux ternes se mettaient a briller.
— Ma chere comtesse ! J'avais craint de vous manquer et, deja...
Un geste discret et autoritaire de la vieille dame lui coupa la parole, mais il etait trop tard : non seulement Catherine avait entendu la phrase maladroite, mais elle avait vu le geste. Elle sortit de l'ombre, s'avanca aupres de son amie.
— Et moi, Jean, dit-elle froidement, craigniez-vous aussi de me manquer ?
Le peintre Jean Van Eyck, valet de chambre du duc Philippe de Bourgogne et son ambassadeur secret dans bien des circonstances, ne se donna pas la peine de feindre. La joie qui eclata sur son visage etait bien reelle et bien sincere. Un elan le jeta en avant, les mains tendues vers la mince silhouette.
— Catherine !... C'est vous ! C'est bien vous ? Je ne reve pas ?...
Il etait si evidemment heureux que la jeune femme sentit fondre un peu sa mefiance. Ils avaient ete de bons amis, au temps ou elle regnait a la fois sur la cour de Bourgogne et sur le c?ur de son duc. Plus d'une fois elle avait servi de modele a ce grand artiste dont elle admirait passionnement le genie tout en appreciant la fidelite de son amitie. Jean avait meme ete quelque peu amoureux d'elle et ne s'en etait jamais cache. Malgre tout, Catherine ne pouvait se defendre d'un sentiment de joie. Celui que l'on eprouve en retrouvant un ancien ami depuis longtemps perdu de vue. Elle n'avait de lui que de bons souvenirs et les longues heures de pose passees en face de son chevalet avaient ete des heures de paix et de douceur, hormis peut-etre la derniere ; ce jour-la, elle avait appris la maladie de l'enfant qu'elle avait eu du duc Philippe et que soignait Ermengarde de Chateauvillain. Elle avait decide de quitter Bruges pour n'y plus revenir car Jean Van Eyck partait lui aussi, mais pour le Portugal ou il allait demander pour le duc la main de la princesse Isabelle. Et la vie avait entraine Catherine dans son torrent sans retour. Il y avait six ans qu'elle n'avait revu Van Eyck... Spontanement, elle placa ses mains dans celles qui se tendaient.
— C'est bien moi, mon ami... et j'ai grande joie de vous revoir !
Que faites-vous si loin de Bourgogne ? J'ai cru comprendre que vous aviez rendez-vous avec dame Ermengarde ?
Tout en parlant, elle jetait un coup d'?il du cote de son amie et la vit rougir legerement. Mais Van Eyck ne parut pas autrement emu par ses questions.
— Rendez-vous est beaucoup dire ! Je savais que dame Ermengarde se rendait a Compostelle-de-Galice et, comme ma mission m'envoyait sur le meme chemin, j'esperais bien faire route avec elle.
— Est-ce donc aupres de Monseigneur saint Jacques que vous envoie le duc ? fit Catherine avec une ironie qui n'echappa pas a l'artiste.
— Allons, fit-il avec un sourire, vous savez bien que mes missions sont toujours secretes. Je n'ai pas le droit d'en parler. Mais rentrons, la nuit est complete et il fait frais au pied de ces montagnes !
De la soiree passee sous les vieilles voutes de la salle commune ou s'entassaient, depuis des siecles, des foules denses, animees par la foi, Catherine devait garder un curieux sentiment d'irrealite et d'insecurite tout a la fois. Assise a la grande table entre Ermengarde et Jean, elle les ecouta parler sans trop se meler a la conversation. Comment l'aurait-elle pu ? Les affaires de Bourgogne dont ils discutaient lui etaient devenues a ce point etrangeres qu'elle n'y trouvait plus la moindre trace d'interet. Meme l'heritier ducal, ce jeune Charles, comte de Charolais, que la duchesse Isabelle avait mis au monde quelques mois plus tot et qui soulevait la passion des deux Bourguignons, ne parvenait pas a secouer son indifference. Il s'agissait la d'un monde mort pour elle a tout jamais.
Mais, si elle ne pretait que peu d'attention a leurs propos, elle n'en observait pas moins, avec une attention aigue, ses deux compagnons.
Tout a l'heure, quand elle avait quitte la cellule qu'on lui avait octroyee pour se rendre dans la grande salle, elle avait trouve Josse qui l'attendait, immobile dans l'obscurite presque totale du cloitre. Elle avait sursaute en le voyant surgir de l'ombre, mais il avait aussitot mis un doigt sur ses levres. Puis il avait chuchote :
— Ce seigneur venu de Bourgogne... c'est lui qu'attendait la noble dame !