Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 43
— Tu ne reponds pas ? murmura-t-elle d'une voix qui s'enrouait.
— C'est que je ne sais pas. Vous etes si belle que j'aimerais vous suivre... comme une etoile. Mais si je veux retrouver mon passe il vaut peut-etre mieux que je m'en aille seul. Il y a en moi quelque chose qui dit que je dois etre seul, que je l'ai toujours ete...
— Non, ce n'est pas vrai ! Depuis trois ans tu ne m'as presque pas quittee. Nous avons souffert ensemble, lutte ensemble, defendu nos vies ensemble, tu m'as sauvee tant de fois ! Comment ferai-je si tu m'abandonnes ?
Elle se laissa tomber assise sur le pied du lit, accablee sous ce surcroit de peine. Cachant son visage dans ses mains tremblantes, elle murmura douloureusement :
— Je t'en supplie, Gauthier, ne m'abandonne pas ! Sans toi, je suis perdue... perdue !
Des larmes ameres roulaient entre ses doigts. Elle se sentait affreusement seule, abandonnee de tous. Il y avait le moine, ce cauchemar vivant qui hantait les murs de ce chateau, il y avait la nostalgie qu'elle eprouvait de son pays, de son enfant, il y avait surtout la furieuse morsure de la jalousie qui la tenaillait chaque fois qu'elle evoquait son epoux. Alors, que Gauthier se detournat d'elle, qu'il eut tout oublie du passe, c'etait plus qu'elle n'en pouvait endurer... Elle l'entendit qui balbutiait :
— Ne pleurez pas, dame ; si cela vous cause tant de peine, j'irai avec vous...
Elle releva vers lui, dans un visage inonde de larmes, des yeux fulgurants de revolte.
— Cela ressemble a de la pitie, ou de la resignation ! Mais tu m'aimais, jadis ! Tu ne vivais que pour moi, que par moi... Si ta memoire te fait defaut, ton c?ur, du moins, devrait me reconnaitre !
Il se pencha vers elle, scrutant le doux visage humide et implorant.
— Je voudrais tant me souvenir ! fit-il tristement. Cela ne doit pas etre difficile de vous aimer. Vous etes si belle ! On dirait que vous etes petrie avec de la lumiere. Vos yeux sont plus doux que la nuit...
D'une main timide, il avait pris le menton de la jeune femme, le relevait pour mieux voir les prunelles veloutees que les larmes faisaient scintiller. Le visage contracte du Normand etait maintenant tout pres du sien et Catherine ne fut pas maitresse de son impulsion. Il lui sembla encore entendre la voix d'Hamza murmurant : « Essayez de reveiller cet amour... » Alors, elle demanda :
— Embrasse-moi !
Elle vit qu'il hesitait. Se haussant vers lui, ce fut elle, alors, qui chercha les levres de Gauthier, y attacha les siennes tandis que, glissant ses deux bras autour du cou massif, elle se suspendait a lui. La bouche serree ne repondit pas tout de suite a sa caresse, comme si elle hesitait au bord du plaisir. Et puis, tout a coup, Catherine sentit qu'elle se mettait a vivre, soudain ardente et brutale, tandis que les bras du Normand se refermaient sur elle. Enlaces, ils roulerent sur le lit.
Sous la bouche qui, maintenant, violentait la sienne, Catherine sentit le desir s'eveiller, en tempete, dans son corps, sage depuis trop longtemps. Elle avait toujours eu pour Gauthier une profonde tendresse, et, tout a l'heure, quand elle lui avait tendu ses levres, elle songeait seulement a creer ce choc capable de lui rendre la memoire.
Mais, maintenant, son propre desir s'eveillait, au meme rythme que celui qu'elle sentait naitre dans le corps presse contre le sien...
Fulgurante, la pensee de son epoux la traversa, mais elle la repoussa avec colere. Non, meme son souvenir ne l'empecherait pas de se donner a son ami ! Est-ce que celui de leur amour l'empechait de donner a une autre ses baisers et ses caresses ? Le gout de la vengeance venait, decuplant l'approche du plaisir attendu. Mais elle sentait les mains de Gauthier s'enerver sur les lacages compliques de sa robe. Doucement, elle le repoussa.
— Attends ! Ne sois pas si presse !...
D'un souple mouvement de reins, elle se redressa, se leva. L'indecise lumiere de la chandelle lui sembla insuffisante. Elle ne voulait pas se donner a lui furtivement, dans l'ombre. Elle voulait beaucoup de lumiere sur son visage, sur son corps lorsqu'il la possederait...
Saisissant la chandelle, elle alla allumer les deux candelabres poses sur le coffre contre le mur. Assis au pied du lit, il la regardait faire, sans comprendre.
— Pourquoi tout cela ? Viens... supplia-t-il, tendant vers elle des mains impatientes, pret a bondir sur elle.
Mais du regard, elle le retint.
— Attends, te dis-je...
Elle s'eloigna de quelques pas. Puis, avisant un couteau pose sur la table, elle trancha d'un coup les lacets de sa robe, s'en depouilla avec une sorte de hate joyeuse, fit glisser le jupon de satin blanc, la chemise fine. Le regard gris, avide, suivait chacun de ses gestes, glissant sur le corps qui se denudait devant lui. Catherine le sentait sur ses seins, sur son ventre, sur ses cuisses et en jouissait comme d'une caresse. Quand la derniere lingerie fut tombee, elle s'etira comme une chatte dans la lumiere chaude des bougies puis, se glissant sur le lit, elle s'y etendit et, enfin, ouvrit les bras.
— Viens maintenant !
Alors il bondit...
— Catherine !...
Il avait crie son nom, comme un appel, au moment le plus aigu du plaisir et maintenant, haletant, il regardait avec des yeux qui s'effaraient le doux visage qu'il tenait entre ses mains.
— Catherine, repeta-t-il... Dame Catherine ! Est-ce que je reve encore ?
Une vague de joie inonda la jeune femme. Hamza avait eu raison.
L'amour s'etait reveille, avait fait un miracle... L'homme qu'elle etreignait n'etait plus un etranger, un corps dont l'ame etait absente. Il etait redevenu lui-meme... et elle se sentait heureuse comme elle ne l'avait pas ete depuis longtemps. Aussi, comme il tentait de s'ecarter, elle le retint dans ses bras, le ramena contre elle.
— Reste !... Oui, c'est bien moi... Tu ne reves pas, mais ne me quitte pas !... Je t'expliquerai plus tard ! Reste. Aime-moi... Cette nuit, je t'appartiens.
La bouche qui s'offrait etait trop douce, trop tendre le corps que Gauthier etreignait. C'etait aussi un trop vieux reve, trop longtemps et trop cruellement banni que posseder enfin cette femme adoree ! Il avait l'impression de sortir d'un songe, mais cette peau chaude, l'odeur grisante de cette chair etaient une bouleversante realite. Il s'y abandonna avec passion, se saoula d'elle comme d'un vin trop fort avec l'avidite d'un homme qui, durant d'interminables jours, a connu la soif. Et Catherine, heureuse, comblee, s'abandonna avec une joie animale a cet ouragan d'amour.
Pourtant, vers le milieu de la nuit, il lui sembla qu'un fait etrange se produisait. Elle crut entendre bouger la porte de la chambre. Elle se redressa, ecouta un instant, faisant signe a Gauthier de se taire. Les chandelles approchaient de leur fin, mais eclairaient suffisamment pour qu'elle vit nettement que la porte ne bougeait pas. Aucun bruit ne se faisait entendre... Puis Catherine songea qu'elle avait ete victime d'une illusion et, oubliant la porte, revint a son amant...
L'aube etait bien proche quand Gauthier s'endormit enfin. Il tomba comme une masse dans un sommeil lourd, profond, emplissant le donjon d'un ronflement sonore qui fit sourire Catherine. C'etaient la les veritables trompettes de la victoire ! Elle le regarda dormir un moment, paisible, detendu, les levres molles et entrouvertes. Sa gigantesque carcasse, abandonnee en travers du lit devaste, avait quelque chose d'enfantin. Elle eprouvait pour lui une profonde tendresse. L'amour qu'il lui avait donne etait, elle le savait, d'une qualite rare. Gauthier l'aimait pour elle-meme, sans rien revendiquer pour lui, et cet amour rechauffait le c?ur transi de Catherine.
Elle se pencha sur le dormeur et, tout doucement, baisa les paupieres closes. Puis, hativement, elle remit ses vetements car elle voulait rentrer chez elle avant le jour. Se rhabiller ne fut pas chose aisee ; les lacets tranches de sa robe en rendaient l'ajustement difficile, mais elle parvint tout de meme a les rattacher tant bien que mal. Une fois prete, elle se glissa au-dehors, descendit, sur ses bas, l'escalier de pierre pour ne pas eveiller les echos du donjon. Le ciel, au-dessus du chateau, commencait a palir. Dans les couloirs, les torches s'eteignaient en fumant. Les sentinelles dormaient, appuyees sur leurs piques, un peu partout. Catherine put regagner sa chambre sans rencontrer ame qui vive. Rejetant hativement ses robes qu'elle retenait a deux mains contre elle, la jeune femme se glissa dans les draps frais de son lit avec un soupir de volupte. Elle se sentait lasse, moulue jusqu'aux os par la nuit brulante qu'elle venait de vivre, mais, en meme temps, curieusement delivree de ses fantomes, presque heureuse. Certes, ce n'etait pas le grisant, le merveilleux aneantissement que seul Arnaud savait lui donner. Dans les bras du seul homme qu'elle eut jamais vraiment aime, Catherine s'oubliait, se dissolvait dans le bonheur, abdiquait meme toute personnalite, toute volonte pour ne plus former avec lui qu'une seule chair, un seul c?ur. Mais, cette nuit, la tendresse profonde qu'elle avait pour Gauthier, son ardent desir d'arracher son esprit au brouillard dangereux de la folie et la faim douloureuse de ses propres sens lui avaient parfaitement tenu lieu de passion. Elle avait decouvert quel apaisement, du corps et de l'esprit, pouvait donner l'amour d'un homme ardent et sincerement epris... meme l'irritant probleme que representait Fray Ignacio s'en trouvait amoindri, demystifie en quelque sorte...