Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 65
Captif de cette rose et de ce rossignol... »
Les vers etaient beaux et la voix chaude du calife leur donnait un plus grand charme encore, mais le poeme n'alla pas plus loin. Tout en les disant, Muhammad s'etait rapproche de Catherine et ce fut sur ses levres qu'il posa le dernier mot avant de soulever la jeune femme dans ses bras et de l'emporter vers le jardin.
— La place d'une rose est au milieu de ses s?urs, murmura-t-il contre la bouche de sa captive. C'est au jardin que je veux te cueillir.
Sur les bords de marbre du miroir d'eau ou se refletaient les etoiles, des matelas de velours et des coussins avaient ete jetes sous un berceau de jasmin. Muhammad y deposa Catherine puis arracha avec impatience sa gandoura qu'il jeta au hasard. La lourde ceinture etoilee d'emeraudes tomba dans l'eau, disparut sans qu'il fit un geste pour la retenir. Deja il se laissait tomber sur les coussins et attirait dans ses bras la jeune femme frissonnante mais incapable de se defendre contre les charmes etranges que degageaient cet homme, cette nuit magique saturee de parfums a laquelle le murmure des cascatelles et le chant du rossignol offraient la plus tendre des musiques. Muhammad savait l'amour et Catherine se preta docilement au tendre jeu, refoulant sous les assauts du plaisir un sentiment de culpabilite teinte de revanche qui n'etait pas depourvu de saveur.
Et le grand miroir d'eau ou se levait la mince corne argentee de la lune fit soudain silence pour mieux refleter la double image des deux corps unis.
« Donne au vent un bouquet cueilli sur ton visage en fleurs Et je respirerai l'odeur des sentiers que tu foules... » psalmodiait le sultan contre l'oreille de Catherine. « Tu sembles petrie de toutes les fleurs de ce jardin, Lumiere de l'Aurore, et ton regard a la purete de ses eaux limpides. Qui donc t'a appris l'amour, o la plus parfumee des roses ?... »
Catherine benit l'ombre des jasmins qui les enveloppait et qui dissimula sa soudaine rougeur. C'etait vrai, elle aimait l'amour et si son c?ur n'avait jamais pu se donner qu'a un seul homme, son corps, lui, savait apprecier les caresses raffinees d'un maitre de la volupte.
Elle dit, avec un peu d'hypocrisie :
— Quelle eleve ne se montrerait bonne avec un tel professeur ? Je suis ton esclave, o seigneur, et je n'ai fait que t'obeir.
Vraiment ? J'esperais mieux... mais je peux, pour une femme telle que toi, avoir toutes les patiences. Je t'apprendrai a m'aimer, avec ton c?ur autant qu'avec ta chair. Ici, tu n'auras plus rien d'autre a faire qu'a me donner chaque nuit un bonheur plus grand que la nuit precedente.
— Chaque nuit ? Et tes autres femmes, seigneur ?
— Qui donc, ayant goute le divin haschisch, pourrait se contenter d'un fade ragout ?
Catherine ne put retenir un sourire, mais il s'effaca vite. Elle se souvint des yeux sauvages, aux vertes prunelles dangereuses de Zorah l'Egyptienne. Des yeux qui lui rappelaient ceux de cette terrible et malheureuse Marie de Comborn qui avait voulu la tuer et qu'Arnaud avait daguee comme la bete malfaisante qu'elle etait. C'etait le role de favorite en titre que lui offrait Muhammad et Catherine devinait que les menaces de Morayma ne retiendraient pas l'Egyptienne sur le chemin du meurtre si, pour Catherine, le calife oubliait toutes ses autres femmes en general et Zorah en particulier.
— Tu me fais beaucoup d'honneur, seigneur... commenca-t-elle, mais, la-bas, sous le portique, une troupe de porteurs de torches venait d'apparaitre illuminant la nuit de reflets rougeatres.
Muhammad s'etait releve sur un coude et, sourcils fronces, les regardait approcher avec mecontentement.
— Qui donc ose me deranger a cette heure de la nuit ?
Les porteurs de torches escortaient un homme jeune, grand et maigre, portant une courte barbe noire et un turban de brocart pourpre. A sa mine arrogante et a ses vetements somptueux, on devinait un personnage de haut rang et Catherine, brusquement, reconnut l'un des chasseurs qui accompagnaient Arnaud, le matin meme.
— Qui est-ce ? demanda-t-elle instinctivement.
— Aben-Ahmed Banu Saradj... notre Grand Vizir, repondit Muhammad. Il faut un evenement grave pour qu'il ose venir jusqu'ici...
D'un seul coup, l'homme qui s'etait montre a Catherine sous un jour tellement humain redevint le tout- puissant Calife Commandeur des Croyants devant lequel tout etre, quel que soit son rang, devait plier.
Tandis que la jeune femme se refugiait sous les coussins et cachait au plus noir de l'ombre sa blanche forme que les yeux de ces hommes ne devaient pas voir, Muhammad revetait sa gandoura et sortait du berceau. A sa vue, les porteurs de torches s'agenouillerent tandis que le Grand Vizir prosternait dans le sable de l'allee ses brocarts et sa silhouette hautaine. Les flammes qui l'environnaient le faisaient flamboyer comme un enorme rubis, mais le reflet qu'elles allumaient dans ses yeux deplut a Catherine. L'homme etait faux, cruel, dangereux.
— Que veux-tu, Aben-Ahmed ? Que viens-tu chercher a cette heure de la nuit ?
— Seul un danger pouvait me conduire vers toi, Commandeur des Croyants, et m'inciter a oser troubler les heures trop rares de ton repos. Ton pere, le valeureux Yusuf, a quitte le Djebel-al-Tarik1 a la tete de ses cavaliers berberes et se dirige vers Grenade. Il m'a semble qu'il fallait t'avertir sans tarder...
— Tu as bien fait ! Sait-on pourquoi mon pere a quitte sa retraite ?
— Non ! Maitre Tout-Puissant, on l'ignore. Mais, si tu veux permettre un conseil a ton serviteur, la sagesse voudrait peut-etre que tu envoies a la rencontre de Yusuf pour sonder ses intentions.
— Nul, autre que moi, ne peut se permettre de sonder le grand Yusuf. Il est mon pere, et mon trone fut le sien. Si quelqu'un se rend a sa rencontre, ce sera moi, ainsi le veulent les liens du sang... et plus encore si Yusuf vient ici avec des intentions belliqueuses...
— Ne vaudrait-il pas mieux, en ce cas, te garder ?
— Me prends-tu pour une femme ? Va donner des ordres. Que l'on selle les chevaux, que les Maures se preparent. Cinquante hommes seulement, a m'accompagner.
— Pas plus ? Seigneur, c'est de la folie !
1.
Gibraltar.
Pas un de plus ! Va, te dis-je. Je regagne Al Hamra dans quelques instants.
Le dos courbe, Aben-Ahmed se retira a reculons, ecrase apparemment sous le respect, mais Catherine avait saisi au passage l'eclair de joie mauvaise qui avait brille dans ses yeux nocturnes quand Muhammad avait annonce son depart. Celui-ci attendit que le vizir se fut eloigne pour rejoindre sa nouvelle favorite. Il s'agenouilla aupres d'elle, caressa les cheveux en desordre de la jeune femme.
Il me faut te quitter, ma rose merveilleuse, et j'en ai le c?ur dolent.
Mais je me haterai afin que peu de nuits s'ecoulent avant que je te retrouve.
Ne vas-tu pas au-devant d'un danger, seigneur ?
Qu'est-ce que le danger ? Regner fait naitre chaque jour un danger nouveau. Il est partout ; dans les fleurs du jardin, dans la coupe de miel que te presente la main candide d'un enfant, dans la douceur d'un parfum... Peut-etre n'es-tu toi-meme que le plus grisant... et le plus mortel des dangers !
Crois-tu vraiment ce que tu dis ?
En ce qui te concerne, non ! Tu as des yeux trop doux, trop purs ! Il est cruel de te quitter...
Il l'embrassa longuement, ardemment, puis, se redressant, frappa dans ses mains. Comme par magie, la forme replete de Morayma surgit du rideau noir des cypres. Le calife lui designa la jeune femme toujours blottie dans ses coussins.
Ramene-la au harem... et prends-en grand soin ! Tu veilleras a ce que rien ne lui manque pendant mon absence qui sera breve. Ou l'as-tu logee ?
Dans la petite cour des Bains. J'ignorais encore...
Installe-la dans les anciens appartements d'Amina... ceux qui jouxtent la tour de l'Eau. Et donne-lui toutes les servantes que tu jugeras bon, mais, surtout, veille sur elle. Ta tete repondra de sa quietude.