Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 67
Doucement, tout doucement, elle se redressa. Ses yeux affleurerent le rebord d'azulejos vert jade et il lui fallut mordre sa main pour ne pas crier. Juste en face d'elle, Catherine venait d'apercevoir Arnaud.
Il etait assis, jambes croisees, parmi les coussins d'un enorme divan de brocart rose qui tenait au moins la moitie d'une petite piece, intime et ravissante, dont les murs revetus de cristal vert faisaient songer a l'interieur d'une enorme pierre precieuse. Sa peau bronzee, ses cheveux noirs et les amples pantalons noirs brodes d'or qu'il portait pour tout vetement ressortaient etrangement sur ce fond d'une feminine tendresse. Avec ses larges epaules et ses muscles puissants, il y etait insolite comme une hache d'armes au milieu de dentelles.
Debout aupres de lui, une esclave etroitement voilee remplissait, des qu'il la reposait, la large coupe d'or qu'il vidait sans cesse. Il etait plus beau que jamais ; cependant, Catherine constata avec stupeur que son regard vacillait legerement et comprit qu'il etait plus qu'a moitie ivre !
Cela lui causa un choc. Jamais encore, elle n'avait vu son epoux sous l'empire du vin. Ainsi, avec ses pommettes empourprees et ses yeux trop brillants, il evoquait l'aspect barbare d'un Gilles de Rais. C'etait un inconnu que Catherine avait sous les yeux.
Mais elle reconnut aussitot la femme qui se tenait non loin de lui, a demi etendue parmi des coussins argentes. C'etait elle qui chantait, caressant nonchalamment de ses longs doigts souples les cordes d'une petite guitare ronde. C'etait Zobeida en personne... Et elle etait belle a couper le souffle.
Une profusion de grosses perles laiteuses couvrait son cou, ses epaules, s'enroulait autour de ses bras minces, de ses chevilles fines, se perdait dans les flots noirs de sa chevelure denouee, mais, pour le reste, elle s'enveloppait d'un nuage de gaze couleur de jade qui ne cachait aucun des charmes d'un corps parfait. Et Catherine sentit gonfler sa colere en constatant que sa rivale etait encore plus seduisante que dans le souvenir, fugitif a vrai dire, qu'elle en avait garde. Elle vit aussi que les yeux de Zobeida ne quittaient pas un instant son prisonnier tandis que lui ne la regardait pas. Il regardait ailleurs, dans le vide que procure l'ivresse, mais une ivresse sans joie, que Catherine, instinctivement, devina volontaire.
Soudain, l'indifference obstinee d'Arnaud eut raison de la patience de la Mauresque. Elle rejeta son instrument avec irritation, chassa l'esclave d'un sec mouvement des doigts, puis, se levant, alla s'etendre pres d'Arnaud, posant sa tete sur les genoux de son amant.
.
Dans la nuit, Catherine fremit, mais Arnaud n'avait pas bouge.
Avec application, il vidait sa coupe lentement, methodiquement.
Mais Zobeida voulait le forcer a s'occuper d'elle. Catherine vit ses mains chargees de bagues ramper sur le torse d'Arnaud en une lente caresse, remonter vers les epaules, s'enrouler autour du cou, s'y suspendre pour attirer son visage vers celui qu'elle offrait. La coupe etait vide, Arnaud la jeta loin de lui, d'un geste dedaigneux, et Catherine ferma les yeux parce que Zobeida venait de se hausser jusqu'aux levres, d'y coller les siennes en un baiser passionne.
Mais, presque aussitot, le couple se desunit. Arnaud s'etait leve brusquement, essuyant de la main le sang qui perlait a ses levres, ou Zobeida avait mordu... Repoussee par lui, la princesse avait roule sur le tapis.
— Chienne ! gronda-t-il. Je vais t'apprendre...
Il saisit, sur une table basse, une cravache qui trainait et en cingla le dos et les epaules de Zobeida. Catherine retint un cri de terreur, oubliant sa jalousie devant ce j geste qui ne pouvait signifier selon elle que la condamnation d'Arnaud. L'orgueilleuse princesse devait etre |
incapable d'endurer pareil traitement. Elle allait appeler, frapper le gong de bronze pose pres du divan, faire accourir ses eunuques, ses bourreaux...
Mais non !... Avec un gemissement plaintif, l'indomptable Zobeida rampait sur le tapis jusqu'aux pieds nus de son amant, y collait ses levres, enlacait ses jambes de ses bras constelles de perles, levait vers lui des yeux noyes de bete soumise. Elle murmurait des mots que Catherine ne pouvait entendre, mais dont, peu a peu, la magie envoutante devait jouer sur l'homme. Catherine vit la cravache tomber des mains de son epoux. Il prit a plein poing les cheveux de Zobeida, la releva jusqu'a son visage et s'empara de ses levres tandis que de sa main libre il arrachait les derisoires et encombrantes mousselines. Le couple enlace roula sur le sol de la piece tandis qu'au-dehors le ciel, les arbres et les murs se mettaient a tourner autour de Catherine en une sarabande effrayante.
Haletante, le c?ur chavire, elle se plaqua contre le mur froid du palais, luttant contre la syncope. Elle sentait sa vie la quitter, crut qu'elle allait mourir la, dans la nuit, a deux pas de ce couple ehonte dont elle entendait les rales de plaisir... Sa main convulsive chercha la dague familiere, a sa hanche, ne rencontra que la molle mousseline qui l'habillait a peine, tatonna instinctivement a l'entour, saisie par un aveugle, un primitif desir de tuer. Oh ! trouver une arme, pouvoir se dresser devant son epoux infidele, pareille a quelque deesse de la vengeance, frapper cette creature qui osait l'aimer d'un amour abject, un amour d'esclave !... La main de Catherine ne rencontra point l'arme desiree, mais une ronce aux epines acerees qui s'enfoncerent cruellement dans sa paume, lui arrachant un gemissement vite etouffe, mais lui restituant comme par miracle une conscience plus claire. Au meme moment, un bruit de voix, d'allees et venues acheva de lui rendre le sens de la realite. Elle reconnut le timbre nasillard de Morayma, quitta furtivement sa cachette, rampa sous les arbustes et rejoignit finalement l'allee centrale comme Morayma en personne y arrivait.
La vieille Juive jeta sur Catherine un regard soupconneux.
— D'ou viens-tu ? Je te cherchais...
— Dans ce jardin. La nuit etait si... douce ! je n'avais pas envie de rentrer encore, fit la jeune femme avec effort.
Sans repondre, Morayma la prit par le poignet et l'entraina vers la tour de l'Eau. Parvenue sous la colonnade eclairee, elle regarda sa prisonniere, fronca les sourcils, remarqua :
— Tu es bien pale ! Es-tu souffrante ?...
— Non. Fatiguee peut-etre...
— Alors, je ne vois pas pourquoi tu n'es pas encore couchee. Viens maintenant !
Catherine se laissa emmener sans resistance jusqu'a une suite de pieces dont elle ne vit rien. Ses yeux, envoutes par son esprit bouleverse, formaient et reformaient sans cesse devant elle la scene d'amour dont ils venaient d'etre les temoins. Et Morayma, qui s'attendait a des cris de joie devant le luxe que l'amour du calife offrait a cette esclave rachetee, ne comprit pas pourquoi, a peine entree dans la chambre ou l'attendait une armee de servantes, Catherine se laissa tomber sur les matelas de soie pour y pleurer toutes les larmes de son corps.
La maitresse du harem eut cependant assez de sagesse pour ne point poser de questions. Elle se contenta de renvoyer d'un geste autoritaire toutes les servantes, puis, patiemment, s'assit au pied du lit pour attendre que l'orage cesse.
Elle l'attribuait, avec philosophie, aux emotions plutot fortes de cette journee mouvementee. Mais Catherine pleura longtemps, si longtemps que, seule, la fatigue vint a bout de son chagrin. Quand ses sanglots se turent, elle glissa sans transition dans un sommeil de bete harassee... Il y avait deja un moment que Morayma l'avait precedee au pays des songes et dormait, tassee sur elle- meme. La nuit d'ete, ponctuee par le tintement de la cloche des canaux, acheva de couler sur Grenade.
Il y avait tant de monde dans la chambre de Catherine lorsqu'elle ouvrit ses yeux encore gonfles par les larmes qu'elle les referma aussitot, persuadee que c'etait seulement la suite de ses reves fievreux.