Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 66

Catherine vit s'effarer les yeux de Morayma. Visiblement le resultat depassait ses esperances et la Juive ne s'attendait pas a une aussi brutale, aussi eclatante faveur. La facon dont elle s'adressa a la jeune femme, tandis que Muhammad s'eloignait vers les portiques, s'en ressentit. Catherine y decela un respect nouveau qui l'amusa.

— Il faut que tu me retrouves mes voiles, lui dit-elle. Je ne peux pas m'habiller avec ces coussins...

— Je vais te les chercher, Lumiere de l'Aurore, ne bouge surtout pas ! La perle precieuse du Calife ne doit plus faire aucun effort. Je vais m'occuper de tout. Ensuite, je ferai venir des porteurs, une litiere pour te conduire a tes nouveaux appartements...

Elle allait s'esquiver. Catherine l'arreta.

— Surtout pas ! Je veux rentrer comme je suis partie, a pied.

J'aime ces jardins et la nuit est si douce ! Mais... dis-moi, ces appartements que l'on me destine sont-ils eloignes de ceux de la princesse Zobeida ?

Morayma eut un geste effraye et se mit a trembler visiblement.

— Helas non ! Ils sont tout proches et c'est bien ce qui me tourmente. La sultane Amina les a fuis jusqu'a l'Alcazar Genil pour mettre une plus grande distance entre elle et son ennemie. Mais notre maitre ne veut pas croire que sa s?ur favorite ne lui est pas semblable. Il faudra te garder soigneusement de l'irriter, Lumiere de l'Aurore, sinon ta vie ne tiendrait qu'a un fil... et ma tete a moi ne tarderait pas a rouler sous le cimeterre du bourreau. Evite surtout les jardins prives de Zobeida. Et si, d'aventure, tu apercois le seigneur franc qu'elle aime, alors detourne-toi, voile-toi etroitement et fuis, fuis si tu veux vivre...

Elle se mit, elle-meme, a courir a toutes jambes comme si les Mongols de Zobeida etaient deja sur sa trace. Catherine ne put s'empecher de rire en voyant s'agiter sous les draperies de son voile les petites jambes courtes de Morayma dans leurs grandes babouches pointues qui lui donnaient assez l'air d'un canard affole. La nouvelle favorite n'avait pas peur. D'un seul coup, elle avait conquis une place de choix et, dans quelques instants, elle s'installerait dans le voisinage immediat de son ennemie... et tout pres d'Arnaud ! Elle pourrait le voir, elle en etait sure, et a cette idee son sang coulait plus vite dans ses veines. Elle en oubliait meme les heures, charmantes cependant, qu'elle venait de vivre dans ces jardins de reve. La nuit d'amour avec Muhammad, c'etait le prix qu'il avait fallu payer pour toucher enfin, du bout des doigts, le but si longtemps poursuivi. Et c'etait, apres tout, un prix leger...

Quelques instants plus tard, enroulee de nouveau dans ses voiles tendres, Catherine, a la suite de Morayma qui trottait allegrement devant elle, quittait le Djenan-el- Arif.

Les guetteurs avaient crie la minuit depuis quelque temps deja lorsque Catherine et Morayma franchirent les limites du harem ou veillaient des eunuques en armes. Un dedale de voutes fleuries, de galeries ajourees et de passages voutes les conduisit dans un vaste patio ou d'etroites allees coupaient un veritable fouillis de plantes et de fleurs. Tout un cote des batiments de ce jardin etait brillamment eclaire par d'innombrables lampes a huile, mais le fond, presque obscur, montrait seulement une lampe au-dessus d'une arche gracieuse vers laquelle Morayma se dirigea. Les deux femmes n'en etaient plus eloignees quand, dans les profondeurs du harem, un affreux vacarme eclata, fait de centaines de cris, de vociferations, d'injures et meme de gemissements. Un veritable bruit de revolution !

Morayma dressa la tete comme un vieux cheval de bataille qui entend la trompette, fronca les sourcils et grogna :

— Ca recommence ! Zorah a du, encore, faire des: siennes !

— Qu'est-ce qui recommence ?

Les folies de l'Egyptienne ! Quand le maitre choisit une autre femme qu'elle pour sa nuit, elle devient enragee ! Il faut qu'elle passe sa fureur sur quelque chose ou quelqu'un. Ordinairement, c'est sur une autre femme, sans autre raison que pouvoir griffer, mordre, injurier.

Pour que passent les fureurs de Zorah, il faut que le sang coule...

— Et tu la laisses faire ? s'ecria Catherine indignee.

— La laisser faire ? Tu ne me connais pas ! Rentre chez toi : c'est la porte que tu vois ici. Des servantes t'attendent. Je viendrai tout a l'heure voir comment tu es installee ! Suivez-moi, vous autres !

La fin de la phrase s'adressait aux deux eunuques, noirs comme de l'ebene dans leurs vetements rouge vif, qui montaient une garde silencieuse a l'entree du patio. Sans un mot, ils s'ebranlerent, tirant d'un meme mouvement, en serviteurs habitues a ce genre d'intervention, les fouets en cuir d'hippopotame accroches a leurs ceintures. Catherine regarda le trio s'eloigner dans les allees parfumees avec la hate que met le destin quand il souhaite frapper.

Bientot la jeune femme fut seule sous le feuillage charnu et luisant des orangers. Elle eprouvait une joie a se trouver seule un instant et ne se pressait pas de rentrer. La nuit etait trop douce avec ses parfums et les echos assourdis d'une musique melancolique venue de la partie eclairee des batiments.

Cette partie-la attirait Catherine comme un aimant. Immobile dans l'obscurite des arbustes, elle ne pouvait en detacher ses yeux. C'etaient la, a n'en pas douter, les appartements de Zobeida ! Il suffisait, pour s'en convaincre, de voir la dizaine d'eunuques noirs qui, sous la colonnade, montaient une garde nonchalante mais attentive. Ceux-la ne portaient point a leur ceinture le fouet de cuir tresse, mais bien de larges et brillants cimeterres qui ne promettaient rien de bon a qui oserait s'approcher.

Pourtant, Catherine brulait de voir ce qui se passait clans ces pieces dont les lumieres douces franchissaient le feuillage etoile des jasmins grimpants pour venir caresser le sable rouge du jardin. Un instinct, presque animal, lui disait qu'Arnaud etait la, derriere ce rempart de marbre et de fleurs, si proche que, s'il avait parle, elle eut sans doute entendu sa voix. Elle le sentait peut-etre au serrement brutal de son c?ur, a la vague d'amere jalousie qui lui empoisonna la gorge. Les caresses du sultan etaient deja bien eloignees de sa memoire, reduites au rang vulgaire de simples formalites par une rage soudaine, brutale et devastatrice. Ce n'etait apres tout qu'une pietre vengeance, un calcul sordide qui s'etait allie a la trahison de ses sens insatisfaits ! Et Catherine, epouvantee, retrouvait, intacte et torturante, la morsure sauvage d'une jalousie aussi antique, aussi primitive que l'amour lui-meme.

Dominant le murmure doux des instruments, une voix de femme s'eleva dans la nuit, chaude, grave, poignante de passion, tellement enfievree que Catherine, saisie, ne bougea plus, ecoutant intensement.

Elle ne comprenait pas les paroles soupirees par ce magnifique organe de velours sombre, mais son instinct, sa feminite lui disaient que c'etait la le plus ardent des appels a l'amour...

Elle ecouta un instant, tellement ensorcelee par la voix mysterieuse qu'elle ne se rendit pas compte que les lumieres s'eteignaient presque toutes dans le pavillon de Zobeida. Le jardin se fit plus noir, et plus rose, plus tendre la clarte des quelques fenetres demeurees eclairees.

La chanteuse avait baisse le ton, fredonnant presque... Alors, incapable de resister a la curiosite qui la devorait, Catherine, insensiblement, se rapprocha du pavillon de la princesse.

Elle ne raisonnait meme plus. La notion du danger mortel qu'elle courait s'etait totalement abolie. Seul son instinct de conservation lui inspira d'oter ses babouches, de glisser pieds nus sur le sable doux, de se courber sous les arbustes pour n'etre pas apercue des gardes. Peu a peu elle gagna les abords d'une fenetre qu'une plante exotique enveloppait, se glissa au c?ur de l'arbuste. Des epines la meurtrirent cruellement sans qu'elle laissat echapper une seule plainte, sans qu'elle essayat de se derober a leur blessure. Enfin, elle avait atteint la fenetre...