Том 3. Публицистические произведения - Тютчев Федор Иванович. Страница 9
Voilà, pour qui sait voir, toute la question entre nous et la propagande occidentale; c’est le fond même du débat. Tout ce qui n’est pas cela, tout ce qui dans la polémique de la presse étrangère ne se rattache pas à cette grande question plus ou moins directement comme une conséquence à son principe, ne mérite pas un instant d’occuper notre attention. C’est de la déclamation pure.
Pour nous, nous ne saurions nous pénétrer assez intimement de ce double principe historique de notre existence nationale. C’est le seul moyen de tenir tête à l’esprit de l’Occident, de mettre un frein à ses prétentions comme à ses hostilités.
Jusqu’à présent, avouons-le, dans les rares occasions où nous avons pris la parole pour nous défendre contre ses attaques, nous l’avons fait, à une ou deux exceptions près, d’une manière trop peu digne de nous. Nous avions trop l’air d’écoliers cherchant par de gauches apologies à désarmer la mauvaise humeur de leur maître.
Quand nous saurons mieux qui nous sommes, nous ne nous aviserons plus de faire amende honorable à qui que ce soit d’être ce que nous sommes.
Et que l’on ne s’imagine pas qu’en proclamant hautement nos titres nous ajouterions à l’hostilité de l’opinion étrangère à notre égard. Ce serait bien peu connaître l’état actuel des esprits en Europe.
Encore une fois ce qui fait le fond de cette hostilité, ce qui vient en aide à la malveillance qu’ils exploitent contre nous, c’est cette opinion absurde et pourtant si générale que tout en reconnaissant, en s’exagérant peut-être nos forces matérielles, on en est encore à se demander si toute cette puissance est animée d’une vie morale, d’une vie historique qui soit propre. Or, l’homme est ainsi fait, surtout l’homme de notre époque, qu’il ne se résigne à la puissance physique qu’en raison de la grandeur morale qu’il y voit attaché.
Chose bizarre en effet, et qui dans quelques années paraîtra inexplicable. Voilà un Empire qui par une rencontre sans exemple peut-être dans l’histoire du monde, se trouve à lui seul représenter deux choses immenses: les destinées d’une race toute entière et la meilleure, la plus saine moitié de l’Eglise Chrétienne.
Et il y a encore des gens qui se demandent sérieusement quels sont les titres de cet Empire, quelle est sa place légitime dans le monde!.. Serait-ce que la génération contemporaine est encore tellement perdue dans l’ombre de la montagne qu’elle a de la peine à en apercevoir le sommet?..
Il ne faut pas l’oublier d’ailleurs: pendant des siècles l’Occident Européen a été en droit de croire que moralement parlant il était seul au monde, qu’à lui seul il élait l’Europe toute entière. Il a grandi, il a vécu, il a vieilli dans cette idée, et voilà qu’il s’aperçoit maintenant qu’il s’était trompé, qu’il y avait à côté de lui une autre Europe, sa sœur cadette peut-être, mais en tout cas sa sœur bien légitime, qu’en un mot il n’était lui que la moitié du grand tout. Une pareille découverte est une révolution tout entière entraînant après elle le plus grand déplacement d’idées qui se soit jamais accompli dans le monde des intelligences.
Est-il étonnant que de vieilles convictions luttent de tout leur pouvoir contre une évidence qui les ébranle, qui les supprime? et ne serait-ce pas à nous de venir en aide à cette évidence, à la rendre invincible, inévitable? Que faudrait-il faire pour cela?
Ici je touche à l’objet même de cette courte notice. Je conçois que le gouvernement Impérial ait de très bonnes raisons pour ne pas désirer qu’à l’intérieur, dans la presse indigène, l’opinion s’anime trop sur des questions bien graves, bien délicates en effet, sur des questions qui touchent aux racines mêmes de l’existence nationale; mais au dehors, mais dans la presse étrangère, quelles raisons aurions-nous pour nous imposer la même réserve? Quels ménagements avons-nous encore à garder vis-à-vis d’une opinion ennemie qui, se prévalant de notre silence, s’empare tout à son aise de ces questions et les résout l’une après l’autre, sans contrôle, sans appel, et toujours dans le sens le plus hostile, le plus contraire à nos intérêts. Ne nous devons-nous pas à nous-même de faire cesser un pareil état de choses? Pouvons-nous encore nous en dissimuler les grands inconvénients? et qu’est-il nécessaire de rappeler le déplorable scandale d’apostasie récente tant politique que religieuse… et ces apostasies auraient-elles été possibles si nous n’avions pas bénévolement, gratuitement livré à l’opinion ennemie le monopole de la discussion?
Je prévois l’objection que l’on va me faire. On est, je le sais, trop disposé chez nous à s’exagérer l’insuffisance de nos moyens, à se persuader que nous ne sommes pas de force à engager avec succès la lutte sur un pareil terrain. Je crois que l’on se trompe; je suis persuadé que nos ressources sont plus grandes qu’on ne se l’imagine; mais même en laissant de côté nos ressources indigènes, ce qui est certain, c’est que l’on ne connaît pas assez chez nous les forces auxiliaires que nous pourrions trouver au dehors. En effet, quelque soit la malveillance apparente et souvent trop réelle de l’opinion étrangère à notre égard, nous n’apprécions pas assez ce que dans l’état de fractionnement où sont tombés en Europe les opinions aussi bien que les intérêts, une grande, une importante unité comme l’est la nôtre, peut exercer d’ascendant et de prestige sur des esprits que ce fractionnement poussé à l’extrême a réduit au dernier degré de lassitude.
Nous ne savons pas assez combien on y est avide de tout ce qui offre des garanties de durée et des promesses d’avenir… comme on y éprouve le besoin de se rallier ou même de se convertir à ce qui est grand et fort. Dans l’état actuel des esprits en Europe, l’opinion publique, toute indisciplinée, toute indépendante qu’elle paraisse, ne demande pas mieux au fond que d’être violentée avec grandeur. Je le dis avec une conviction profonde: l’essentiel, le plus difficile pour nous, c’est d’avoir foi en nous-même; d’oser nous avouer à nous-même toute la portée de nos destinées, d’oser l’accepter tout entière. Ayons cette foi, ce courage. Ayons le courage d’arborer notre véritable drapeau dans la mêlée des opinions qui se disputent l’Europe, et il nous fera trouver des auxiliaires là même où jusqu’à présent nous n’avions rencontré que des adversaires. Et nous verrons se réaliser une magnifique parole, dite dans une circonstance mémorable. Nous verrons ceux-là même qui jusqu’à présent se déchaînaient contre la Russie ou cabalaient en secret contre elle, se sentir heureux et fiers de se rallier à elle, de lui appartenir.
Ce que je dis là n’est pas une simple supposition. Plus d’une fois des hommes éminents par leur talents aussi que par l’autorité que ce talent leur avait acquise sur l’opinion, m’ont donné des témoignages non équivoques de leur bonne volonté, de leurs bonnes dispositions à notre égard. Leurs offres de service étaient telles qu’elles n’avaient rien de compromettant ni pour ceux qui les faisaient, ni pour celui qui les aurait acceptées. Ces hommes assurément n’entendaient pas se vendre à nous, mais ils n’auraient pas mieux demandé que de nous savoir chacun dans la ligne et dans la mesure de son opinion. L’essentiel eût été de coordonner ces efforts, de les diriger tous vers un but déterminé, de faire concourir ces diverses opinions, ces diverses tendances au service des intérêts permanents de la Russie, tout en conservant à leur langage cette franchise d’assaut sans laquelle on ne fait pas d’impression sur les esprits.
Il va sans dire qu’il ne saurait être question d’engager avec la presse étrangère une polémique quotidienne minutieuse portant sur des petits faits, sur des petits détails; mais ce qui serait vraiment utile, ce serait par exemple de prendre pied dans le journal le plus accrédité de l’Allemagne, d’y avoir des organes graves, sérieux, sachant se faire écouter du public — et tendant par des voies différentes, mais avec un certain ensemble vers un but déterminé.