Том 3. Публицистические произведения - Тютчев Федор Иванович. Страница 7
Comment a-t-elle cherché à justifier cette usurpation? Par la nécessité de maintenir l’unité de la foi. Et pour arriver à ce résultat, elle ne s’est refusé aucun moyen, ni la violence, ni la ruse, ni les bûchers, ni les Jésuites. Pour maintenir l’unité de la foi elle n’a pas craint de dénaturer le Christianisme. Eh bien, où en est depuis trois siècles l’unité de la foi dans l’Eglise occidentale? Rome il y a trois siècles a livré la moitié de l’Europe à l’hérésie et l’hérésie l’a livrée à l’incrédulité. Tel est le fruit que le monde chrétien a recueilli de cette dictature de plusieurs siècles que le siège de Rome s’est arrogée sur l’Eglise au mépris des conciles. Il n’a pas craint de se mettre en rébellion contre l’Eglise universelle; d’autres n’ont pas hésité à se révolter contre lui. Ceci n’est que de la justice Providentielle qui est au fond de toutes les choses du monde.
Voilà pour la question purement religieuse dans ces différends avec Rome. Maintenant si on en venait à apprécier l’action politique que Rome a exercée sur les différents états de l’Europe
Occidentale, bien qu’elle nous touchât de moins près, quelle terrible accusation n’aurait-on pas à faire peser sur elle! —
N’est-ce pas Rome, n’est-ce pas la politique ultramontaine qui a désorganisé, déchiré l’Allemagne, qui a tué l’Italie? L’Allemagne, elle l’a désorganisée en y minant le pouvoir impérial; elle l’a déchirée en y provoquant la réformation. Quant à l’Italie, la politique de Rome l’a tuée en empêchant par tous les moyens et à toutes les époques l’établissement dans ce pays d’une autorité souveraine, légitime et nationale. Ce fait a déjà été signalé il y a plus de trois siècles par le plus grand des historiens de l’Italie moderne.
Et en France, pour ne parler que des temps les plus rapprochés de nous, n’est-ce pas l’influence ultramontaine qui a écrasé, qui a éteint ce qu’il y avait de plus pur, de plus vraiment chrétien dans l’Eglise gallicane? N’est-ce pas Rome qui a détruit le Port-Royal et qui après avoir désarmé le Christianisme de ses plus nobles défenseurs, l’a pour ainsi dire livré par les mains des Jésuites aux attaques de la Philosophie du dix-huitième siècle? Tout ceci, hélas, c’est de l’Histoire, et de l’Histoire contemporaine.
Maintenant pour ce qui nous concerne personnellement, lors même que nous passerions sous silence nos propres injures, l’histoire de nos malheurs au dix-septième siècle, comment pouvons-nous taire ce que la politique de cette cour a été, pour ces peuples qu’une fraternité de race et de langue rattache à la Russie et que la fatalité en a séparés. On peut dire avec toute justice que si l’Eglise latine par ses abus et ses excès a été funeste à d’autres pays, elle a été par principe l’ennemie personnelle de la race Slave. La conquête allemande elle-même n’a été qu’une arme, qu’un glaive docile entre ses mains. C’est Rome qui en a dirigé et assuré les coups. Partout où Rome a mis le pied parmi les peuples slaves, elle a engagé une guerre à mort contre leur nationalité. Elle l’a anéantie ou elle l’a dénaturée. Elle a dénationalisé la Bohême et démoralisé la Pologne; elle en aurait fait autant de toute la race si elle n’avait pas rencontré la Russie sur son chemin. De là la haine implacable qu’elle nous a vouée. Rome comprend que dans tout pays slave où la nationalité de la race n’est pas encore tout à fait morte, la Russie par sa seule présence, par le seul fait de son existence politique l’empêchera de mourir et que partout où cette nationalité tendrait à renaître, elle ferait courir de terribles chances à l’établissement Romain. Voilà où nous en sommes vis-à-vis de la cour de Rome. Voilà le bilan exact de notre situation respective. Eh bien, est-ce avec de pareils antécédents historiques que nous craindrions d’accepter le défi qu’elle pourrait nous jeter? Comme Eglise nous avons à lui demander compte au nom de l’Eglise universelle de ce dépôt de la foi, dont elle a cherché à s’attribuer la possession exclusive même au prix d’un schisme. Comme puissance politique, nous avons pour alliée contre elle l’histoire de son passé, les rancunes de la moitié de l’Europe et les trop justes griefs de notre propre race.
Quelques-uns s’imaginent que la réaction religieuse dont l’Europe est en ce moment travaillée pouvait tourner au profit exclusif de l’Eglise latine; c’est selon moi une grande illusion. Il y aura, je le sais bien, dans l’Eglise Protestante beaucoup de conversions partielles, jamais une conversion générale. Ce qui a survécu du principe catholique dans l’Eglise latine, attirera toujours tous ceux parmi les protestants qui, fatigués des fluctuations de la réforme, aspirent à rentrer au port, à se replacer sous la loi de l’autorité catholique, mais les souvenirs de la cour de la Rome, mais l’ultramontanisme enfin, les repoussent éternellement.
Le mot historiquement si vrai sur l’Eglise latine est aussi le mot de la situation actuelle.
Le catholicisme a de tout temps fait toute la force du Papisme, comme le Papisme fait toute la faiblesse du catholicisme.
La force sans faiblesse n’est que dans l’Eglise universelle. Qu’elle se montre, qu’elle intervienne dans le débat et l’on verra de nos jours ce qu’on a déjà vu dans les tous premiers jours de la réformation, alors que les chefs de ce mouvement religieux qui avaient déjà rompu avec le siège de Rome, mais qui hésitaient encore à rompre avec les traditions de l’Eglise Catholique, en appelaient unanimement à l’Eglise d’Orient. Maintenant comme alors la réconciliation religieuse ne peut venir que d’elle; elle porte dans son sein l’avenir chrétien.
Telle est la première, la plus haute question que nous ayons à débattre avec l’Europe Occidentale, c’est la question vitale par excellence.
Il y en a une autre bien grave aussi; c’est celle que l’on appelle communément la question d’Orient; c’est la question de l’Empire.
Ici, il ne s’agit pas de diplomatie; on sait trop bien que tant que durera le Statu quo, la Russie plus qu’aucune autre puissance respectera les traités. Mais les traités, mais la diplomatie ne règlent après tout que les choses du jour. Les intérêts permanents, les rapports éternels c’est l’histoire seule qui en connaît. Or que nous dit l’histoire?
Elle nous dit que l’Orient orthodoxe, tout ce monde immense qui relève de la croix grecque, est un dans son principe, étroitement solidaire dans toutes ses parties, vivant de sa vie propre, originale, indestructible. Il peut être matériellement fractionné, moralement il sera toujours un et indivisible. Il a subi momentanément la domination latine, il a subi pendant des siècles l’invasion des races asiatiques, il n’a jamais accepté ni l’une ni l’autre.
Il y a parmi les Chrétiens de l’Orient un dicton populaire qui exprime naïvement ce fait; ils ont l’habitude de dire, que tout dans la création de Dieu est bien fait, bien ordonné, deux choses exceptées, et ces deux choses sont: le Pape et le Turc.
— Mais Dieu, — ont-ils soin d’ajouter, — a voulu dans sa sagesse infinie rectifier ces deux erreurs et c’est pour cela qu’il crée le Czar moscovite.
Nul traité, nulle combinaison politique ne prévaudra jamais contre ce simple dicton populaire. C’est le résumé de tout le passé et la révélation de tout un avenir.
— En effet, quoiqu’on fasse ou qu’on s’imagine, pourvu que la Russie reste ce qu’elle est, l’empereur de Russie sera nécessairement, irrésistiblement le seul souverain légitime de l’Orient orthodoxe, sous quelque forme d’ailleurs qu’il juge convenable d’exercer cette souveraineté. Faites ce que vous voudrez, mais encore une fois, à moins que vous n’ayez détruit la Russie, vous n’empêcherez jamais ce fait de se produire.
Qui ne voit que l’Occident avec toute sa philantropie, avec son prétendu respect pour le droit des nationalités et tout en se déchaînant contre l’ambition insatiable de la Russie, ne voit dans
les populations qui habitent la Turquie qu’une seule chose: une proie à dépecer.