Le pere Goriot - де Бальзак Оноре. Страница 35

— Dix mille voleurs ! s’ecria Poiret effraye.

— Non, la societe des Dix mille est une association de hauts voleurs, de gens qui travaillent en grand, et ne se melent pas d’une affaire ou il n’y a pas dix mille francs a gagner. Cette societe se compose de tout ce qu’il y a de plus distingue parmi ceux de nos hommes qui vont droit en cour d’assises. Ils connaissent le Code, et ne risquent jamais de se faire appliquer la peine de mort quand ils sont pinces. Collin est leur homme de confiance, leur conseil. A l’aide de ses immenses ressources, cet homme a su se creer une police a lui, des relations fort etendues qu’il enveloppe d’un mystere impenetrable. Quoique depuis un an nous l’ayons entoure d’espions, nous n’avons pas encore pu voir dans son jeu. Sa caisse et ses talents servent donc constamment a solder le vice, a faire les fonds au crime, et entretiennent sur pied une armee de mauvais sujets qui sont dans un perpetuel etat de guerre avec la societe. Saisir Trompe-la-Mort et s’emparer de sa banque, ce sera couper le mal dans sa racine. Aussi cette expedition est-elle devenue une affaire d’Etat et de haute politique, susceptible d’honorer ceux qui coopereront a sa reussite. Vous-meme, monsieur, pourriez etre de nouveau employe dans l’administration, devenir secretaire d’un commissaire de police, fonctions qui ne vous empecheraient point de toucher votre pension de retraite.

— Mais pourquoi, dit mademoiselle Michonneau, Trompe-la-Mort ne s’en va-t-il pas avec la caisse ?

— Oh ! fit l’agent, partout ou il irait, il serait suivi d’un homme charge de le tuer, s’il volait le bagne. Puis une caisse ne s’enleve pas aussi facilement qu’on enleve une demoiselle de bonne maison. D’ailleurs, Collin est un gaillard incapable de faire un trait semblable, il se croirait deshonore.

— Monsieur, dit Poiret, vous avez raison, il serait tout a fait deshonore.

— Tout cela ne nous dit pas pourquoi vous ne venez pas tout bonnement vous emparer de lui, demanda mademoiselle Michonneau.

— Eh ! bien, mademoiselle, je reponds… Mais, lui dit-il a l’oreille, empechez votre monsieur de m’interrompre, ou nous n’en aurons jamais fini. Il doit avoir beaucoup de fortune pour se faire ecouter, ce vieux-la. Trompe-la-Mort, en venant ici, a chausse la peau d’un honnete homme, il s’est fait bon bourgeois de Paris, il s’est loge dans une pension sans apparence ; il est fin, allez ! on ne le prendra jamais sans vert. Donc monsieur Vautrin est un homme considere, qui fait des affaires considerables.

— Naturellement, se dit Poiret a lui-meme.

— Le ministre, si l’on se trompait en arretant un vrai Vautrin, ne veut pas se mettre a dos le commerce de Paris, ni l’opinion publique. M. le prefet de police branle dans le manche, il a des ennemis. S’il y avait erreur, ceux qui veulent sa place profiteraient des clabaudages et des criailleries liberales pour le faire sauter. Il s’agit ici de proceder comme dans l’affaire de Cogniard, le faux comte de Sainte-Helene ; si c’avait ete un vrai comte de Sainte-Helene, nous n’etions pas propres. Aussi faut-il verifier ! »

— Oui, mais vous avez besoin d’une jolie femme, dit vivement mademoiselle Michonneau.

— Trompe-la-Mort ne se laisserait pas aborder par une femme, dit l’agent. Apprenez un secret ? il n’aime pas les femmes.

— Mais je ne vois pas alors a quoi je suis bonne pour une semblable verification, une supposition que je consentirais a la faire pour deux mille francs.

— Rien de plus facile, dit l’inconnu. Je vous remettrai un flacon contenant une dose de liqueur preparee pour donner un cou de sang qui n’a pas le moindre danger et simule une apoplexie. Cette drogue peut se meler egalement au vin et au cafe. Sur-le-champ vous transportez votre homme sur un lit, et vous le deshabillez afin de savoir s’il ne se meurt pas. Au moment ou vous serez seule, vous lui donnerez une claque sur l’epaule, paf ! et vous verrez reparaitre les lettres.

— Mais c’est rien du tout, ca, dit Poiret.

— Eh ! bien, consentez-vous ? dit Gondureau a la vieille fille.

— Mais, mon cher monsieur, dit mademoiselle Michonneau au cas ou il n’y aurait point de lettres, aurais-je les deux mille francs ?

— Non.

— Quelle sera donc l’indemnite ?

— Cinq cents francs.

— Faire une chose pareille pour si peu. Le mal est le meme dans la conscience, et j’ai ma conscience a calmer, monsieur.

— Je vous affirme, dit Poiret, que mademoiselle a beaucoup de conscience, outre que c’est une tres-aimable personne et bien entendue.

— Eh ! bien, reprit mademoiselle Michonneau, donnez-moi trois mille francs si c’est Trompe-la-Mort, et rien si c’est un bourgeois.

— Ca va, dit Gondureau, mais a condition que l’affaire sera faite demain.

— Pas encore, mon cher monsieur, j’ai besoin de consulter mon confesseur.

— Finaude ! dit l’agent en se levant. A demain alors. Et si vous etiez pressee de me parler, venez petite rue Sainte-Anne, au bout de la cour de la Sainte-Chapelle. Il n’y a qu’une porte sous la voute. Demandez monsieur Gondureau.

Bianchon, qui revenait du cours de Cuvier, eut l’oreille frappee du mot assez original de Trompe-la-Mort, et entendit le ca va du celebre chef de la police de surete.

— Pourquoi n’en finissez-vous pas, ce serait trois cents francs de rente viagere, dit Poiret a mademoiselle Michonneau.

— Pourquoi ? dit-elle. Mais il faut y reflechir. Si monsieur Vautrin etait ce Trompe-la-Mort, peut-etre y aurait-il plus d’avantage a s’arranger avec lui. Cependant lui demander de l’argent, ce serait le prevenir, et il serait homme a decamper gratis. Ce serait un puffabominable.

— Quand il serait prevenu, reprit Poiret, ce monsieur ne nous a-t-il pas dit qu’il etait surveille ? Mais vous, vous perdriez tout.

— D’ailleurs, pensa mademoiselle Michonneau, je ne l’aime point, cet homme ! Il ne sait me dire que des choses desagreables.

— Mais, reprit Poiret, vous feriez mieux. Ainsi que l’a dit ce monsieur, qui me parait fort bien, outre qu’il est tres-proprement couvert, c’est un acte d’obeissance aux lois que de debarrasser la societe d’un criminel, quelque vertueux qu’il puisse etre. Qui a bu boira. S’il lui prenait fantaisie de nous assassiner tous ? Mais, que diable ! nous serions coupables de ces assassinats, sans compter que nous en serions les premieres victimes.

La preoccupation de mademoiselle Michonneau ne lui permettait pas d’ecouter les phrases tombant une a une de la bouche de Poiret, comme les gouttes d’eau qui suintent a travers le robinet d’une fontaine mal fermee. Quand une fois ce vieillard avait commence la serie de ses phrases, et que mademoiselle Michonneau ne l’arretait pas, il parlait toujours, a l’instar d’une mecanique montee. Apres avoir entame un premier sujet, il etait conduit par ses parentheses a en traiter de tout opposes, sans avoir rien conclu. En arrivant a la maison Vauquer, il s’etait faufile dans une suite de passages et de citations transitoires qui l’avaient amene a raconter sa deposition dans l’affaire du sieur Ragoulleau et de la dame Morin, ou il avait comparu en qualite de temoin a decharge. En entrant, sa compagne ne manqua pas d’apercevoir Eugene de Rastignac engage avec mademoiselle Taillefer dans une intime causerie dont l’interet etait si palpitant que le couple ne fit aucune attention au passage des deux vieux pensionnaires quand ils traverserent la salle a manger.

— Ca devait finir par la, dit mademoiselle Michonneau a Poiret. Ils se faisaient des yeux a s’arracher l’ame depuis huit jours.

— Oui, repondit-il. Aussi fut-elle condamnee.

— Qui ?

— Madame Morin.

— Je vous parle de mademoiselle Victorine, dit la Michonneau en entrant, sans y faire attention, dans la chambre de Poiret, et vous me repondez par madame Morin. Qu’est-ce que c’est que cette femme-la ?

— De quoi serait donc coupable mademoiselle Victorine ? demanda Poiret.