Le pere Goriot - де Бальзак Оноре. Страница 47
— Madame est dans sa chambre, vint lui dire Therese qui le fit tressaillir.
Il trouva Delphine etendue sur sa causeuse, au coin du feu, fraiche, reposee. A la voir ainsi etalee sur des flots de mousseline, il etait impossible de ne pas la comparer a ces belles plantes de l’Inde dont le fruit vient dans la fleur.
— Eh ! bien, nous voila, dit-elle avec emotion.
— Devinez ce que je vous apporte, dit Eugene en s’asseyant pres d’elle et lui prenant le bras pour lui baiser la main.
Madame de Nucingen fit un mouvement de joie en lisant l’invitation. Elle tourna sur Eugene ses yeux mouilles, et lui jeta ses bras au cou pour l’attirer a elle dans un delire de satisfaction vaniteuse.
— Et c’est vous (toi, lui dit-elle a l’oreille ; mais Therese est dans mon cabinet de toilette, soyons prudents !), vous a qui je dois ce bonheur ? Oui, j’ose appeler cela un bonheur. Obtenu par vous, n’est-ce pas plus qu’un triomphe d’amour-propre ? Personne ne m’a voulu presenter dans ce monde. Vous me trouverez peut-etre en ce moment petite, frivole, legere comme une Parisienne, mais pensez, mon ami, que je suis prete a tout vous sacrifier, et que, si je souhaite plus ardemment que jamais d’aller dans le faubourg Saint-Germain, c’est que vous y etes.
— Ne pensez-vous pas, dit Eugene, que madame de Beauseant a l’air de nous dire qu’elle ne compte pas voir le baron de Nucingen a son bal ?
— Mais oui, dit la baronne en rendant la lettre a Eugene. Ces femmes-la ont le genie de l’impertinence. Mais n’importe, j’irai. Ma s?ur doit s’y trouver, je sais qu’elle prepare une toilette delicieuse. Eugene, reprit-elle a voix basse, elle y va pour dissiper d’affreux soupcons. Vous ne savez pas les bruits qui courent sur elle ? Nucingen est venu me dire ce matin qu’on en parlait hier au Cercle sans se gener. A quoi tient, mon Dieu ! l’honneur des femmes et des familles ! Je me suis sentie attaquee, blessee dans ma pauvre s?ur. Selon certaines personnes, monsieur de Trailles aurait souscrit des lettres de change montant a cent mille francs, presque toutes echues, et pour lesquelles il allait etre poursuivi. Dans cette extremite, ma s?ur aurait vendu ses diamants a un juif, ces beaux diamants que vous avez pu lui voir, et qui viennent de madame de Restaud la mere. Enfin, depuis deux jours, il n’est question que de cela. Je concois alors qu’Anastasie se fasse faire une robe lamee, et veuille attirer sur elle tous les regards chez madame de Beauseant, en y paraissant dans tout son eclat et avec ses diamants. Mais je ne veux pas etre au-dessous d’elle. Elle a toujours cherche a m’ecraser, elle n’a jamais ete bonne pour moi, qui lui rendais tant de services, qui avais toujours de l’argent pour elle quand elle n’en avait pas. Mais laissons le monde, aujourd’hui je veux etre tout heureuse.
Rastignac etait encore a une heure du matin chez madame de Nucingen, qui, en lui prodiguant l’adieu des amants, cet adieu plein des joies a venir, lui dit avec une expression de melancolie : — Je suis si peureuse, si superstitieuse, donnez a mes pressentiments le nom qu’il vous plaira, que je tremble de payer mon bonheur par quelque affreuse catastrophe.
— Enfant, dit Eugene.
— Ah ! c’est moi qui suis l’enfant ce soir, dit-elle en riant.
Eugene revint a la maison Vauquer avec la certitude de la quitter le lendemain, il s’abandonna donc pendant la route a ces jolis reves que font tous les jeunes gens quand ils ont encore sur les levres le gout du bonheur.
— Eh bien ? lui dit le pere Goriot quand Rastignac passa devant sa porte.
— Eh ! bien, repondit Eugene, je vous dirai tout demain.
— Tout, n’est-ce pas ? cria le bonhomme. Couchez-vous. Nous allons commencer demain notre vie heureuse.
Le lendemain, Goriot et Rastignac n’attendaient plus que le bon vouloir d’un commissionnaire pour partir de la pension bourgeoise, quand vers midi le bruit d’un equipage qui s’arretait precisement a la porte de la maison Vauquer retentit dans la rue Neuve-Sainte-Genevieve. Madame de Nucingen descendit de sa voiture, demanda si son pere etait encore a la pension. Sur la reponse affirmative de Sylvie, elle monta lestement l’escalier. Eugene se trouvait chez lui sans que son voisin le sut. Il avait, en dejeunant, prie le pere Goriot d’emporter ses effets, en lui disant qu’ils se retrouveraient a quatre heures rue d’Artois. Mais, pendant que le bonhomme avait ete chercher des porteurs, Eugene, avant promptement repondu a l’appel de l’ecole, etait revenu sans que personne l’eut apercu, pour compter avec madame Vauquer, ne voulant pas laisser cette charge a Goriot, qui, dans son fanatisme, aurait sans doute paye pour lui. L’hotesse etait sortie. Eugene remonta chez lui pour voir s’il n’y oubliait rien, et s’applaudit d’avoir eu cette pensee en voyant dans le tiroir de sa table l’acceptation en blanc, souscrite a Vautrin, qu’il avait insouciamment jetee la le jour ou il l’avait acquittee. N’ayant pas de feu, il allait la dechirer en petits morceaux quand, en reconnaissant la voix de Delphine, il ne voulut faire aucun bruit, et s’arreta pour l’entendre, en pensant qu’elle ne devait avoir aucun secret pour lui. Puis, des les premiers mots, il trouva la conversation entre le pere et la fille trop interessante pour ne pas l’ecouter.
— Ah ! mon pere, dit-elle, plaise au ciel que vous ayez eu l’idee de demander compte de ma fortune assez a temps pour que je ne sois pas ruinee ! Puis-je parler ?
— Oui, la maison est vide, dit le pere Goriot d’une voix alteree.
— Qu’avez-vous donc, mon pere ? reprit madame de Nucingen.
— Tu viens, repondit le vieillard, de me donner un coup de hache sur la tete. Dieu te pardonne, mon enfant ! Tu ne sais pas combien je t’aime ; si tu l’avais su, tu ne m’aurais pas dit brusquement de semblables choses, surtout si rien n’est desespere. Qu’est-il donc arrive de si pressant pour que tu sois venue me chercher ici quand dans quelques instants nous allions etre rue d’Artois ?
— Eh ! mon pere, est-on maitre de son premier mouvement dans une catastrophe ? Je suis folle ! Votre avoue nous a fait decouvrir un peu plus tot le malheur qui sans doute eclatera plus tard. Votre vieille experience commerciale va nous devenir necessaire, et je suis accourue vous chercher comme on s’accroche a une branche quand on se noie. Lorsque monsieur Derville a vu Nucingen lui opposer mille chicanes, il l’a menace d’un proces en lui disant que l’autorisation du president du tribunal serait promptement obtenue. Nucingen est venu ce matin chez moi pour me demander si je voulais sa ruine et la mienne. Je lui ai repondu que je ne me connaissais a rien de tout cela, que j’avais une fortune, que je devais etre en possession de ma fortune, et que tout ce qui avait rapport a ce demele regardait mon avoue, que j’etais de la derniere ignorance et dans l’impossibilite de rien entendre a ce sujet. N’etait-ce pas ce que vous m’aviez recommande de dire ?
— Bien, repondit le pere Goriot.
— Eh ! bien, reprit Delphine, il m’a mise au fait de ses affaires. Il a jete tous ses capitaux et les miens dans des entreprises a peine commencees ; et pour lesquelles il a fallu mettre de grandes sommes en dehors. Si je le forcais a me representer ma dot, il serait oblige de deposer son bilan ; tandis que, si je veux attendre un an, il s’engage sur l’honneur a me rendre une fortune double ou triple de la mienne en placant mes capitaux dans des operations territoriales a la fin desquelles je serai maitresse de tous les biens. Mon cher pere, il etait sincere, il m’a effrayee. Il m’a demande pardon de sa conduite, il m’a rendu ma liberte, m’a permis de me conduire a ma guise, a la condition de le laisser entierement maitre de gerer les affaires sous mon nom. Il m’a promis, pour me prouver sa bonne foi, d’appeler monsieur Derville toutes les fois que je le voudrais pour juger si les actes en vertu desquels il m’instituerait proprietaire seraient convenablement rediges. Enfin il s’est remis entre mes mains pieds et poings lies. Il demande encore pendant deux ans la conduite de la maison, et m’a suppliee de ne rien depenser pour moi de plus qu’il ne m’accorde. Il m’a prouve que tout ce qu’il pouvait faire etait de conserver les apparences, qu’il avait renvoye sa danseuse, et qu’il allait etre contraint a la plus stricte mais a la plus sourde economie, afin d’atteindre au terme de ses speculations sans alterer son credit. Je l’ai malmene, j’ai tout mis en doute afin de le pousser a bout et d’en apprendre davantage : il m’a montre ses livres, enfin il a pleure. Je n’ai jamais vu d’homme en pareil etat. Il avait perdu la tete, il parlait de se tuer, il delirait. Il m’a fait pitie.