Le pere Goriot - де Бальзак Оноре. Страница 49
— Ah ! mon pere, vous a-t-on parle d’Anastasie ? dit Delphine en reconnaissant la voix de sa s?ur. Il paraitrait qu’il lui arrive aussi de singulieres choses dans son menage.
— Quoi donc ! dit le pere Goriot : ce serait donc ma fin. Ma pauvre tete ne tiendra pas a un double malheur.
— Bonjour, mon pere, dit la comtesse en entrant. Ah ! te voila, Delphine.
Madame de Restaud parut embarrassee de rencontrer sa s?ur.
— Bonjour, Nasie, dit la baronne. Trouves-tu donc ma presence extraordinaire ? Je vois mon pere tous les jours, moi.
— Depuis quand ?
— Si tu y venais, tu le saurais.
— Ne me taquine pas, Delphine, dit la comtesse d’une voix lamentable. Je suis bien malheureuse, je suis perdue, mon pauvre pere ! oh ! bien perdue cette fois !
— Qu’as-tu, Nasie ? cria le pere Goriot. Dis-nous tout, mon enfant. Elle palit. Delphine, allons, secours-la donc, sois bonne pour elle, je t’aimerai encore mieux, si je peux, toi !
— Ma pauvre Nasie, dit madame de Nucingen en asseyant sa s?ur, parle. Tu vois en nous les deux seules personnes qui t’aimeront toujours assez pour te pardonner tout. Vois-tu, les affections de famille sont les plus sures. Elle lui fit respirer des sels, et la comtesse revint a elle.
— J’en mourrai, dit le pere Goriot. Voyons, reprit-il en remuant son feu de mottes, approchez-vous toutes les deux. J’ai froid. Qu’as-tu, Nasie ? dis vite, tu me tues…
— Eh ! bien, dit la pauvre femme, mon mari sait tout. Figurez-vous, mon pere, il y a quelque temps, vous souvenez-vous de cette lettre de change de Maxime ? Eh ! bien, ce n’etait pas la premiere. J’en avais deja paye beaucoup. Vers le commencement de janvier, monsieur de Trailles me paraissait bien chagrin. Il ne me disait rien ; mais il est si facile de lire dans le c?ur des gens qu’on aime, un rien suffit : puis il y a des pressentiments. Enfin il etait plus aimant, plus tendre que je ne l’avais jamais vu, j’etais toujours plus heureuse. Pauvre Maxime ! dans sa pensee, il me faisait ses adieux, m’a-t-il dit ; il voulait se bruler la cervelle. Enfin je l’ai tant tourmente, tant supplie, je suis restee deux heures a ses genoux. Il m’a dit qu’il devait cent mille francs ! Oh ! papa, cent mille francs ! Je suis devenue folle. Vous ne les aviez pas, j’avais tout devore…
— Non, dit le pere Goriot, je n’aurais pas pu les faire, a moins d’aller les voler. Mais j’y aurais ete, Nasie ! J’irai.
A ce mot lugubrement jete, comme un son du rale d’un mourant, et qui accusait l’agonie du sentiment paternel reduit a l’impuissance, les deux s?urs firent une pause. Quel egoisme serait reste froid a ce cri de desespoir qui, semblable a une pierre lancee dans un gouffre, en revelait [revelait] la profondeur ?
— Je les ai trouves en disposant de ce qui ne m’appartenait pas, mon pere, dit la comtesse en fondant en larmes.
Delphine fut emue et pleura en mettant la tete sur le cou de sa s?ur.
— Tout est donc vrai, lui dit-elle.
Anastasie baissa la tete, madame de Nucingen la saisit a plein corps, la baisa tendrement, et l’appuyant sur son c?ur : — Ici, tu seras toujours aimee sans etre jugee, lui dit-elle.
— Mes anges, dit Goriot d’une voix faible, pourquoi votre union est-elle due au malheur ?
— Pour sauver la vie de Maxime, enfin pour sauver tout mon bonheur, reprit la comtesse encouragee par ces temoignages d’une tendresse chaude et palpitante, j’ai porte chez cet usurier que vous connaissez, un homme fabrique par l’enfer, que rien ne peut attendrir, ce monsieur Gobseck, les diamants de famille auxquels tient tant monsieur de Restaud, les siens, les miens, tout, je les ai vendus. Vendus ! comprenez-vous ? il a ete sauve ! Mais, moi, je suis morte. Restaud a tout su.
— Par qui ? comment ? Que je le tue ! cria le pere Goriot.
— Hier, il m’a fait appeler dans sa chambre. J’y suis allee… « Anastasie, m’a-t-il dit d’une voix… (oh ! sa voix a suffi, j’ai tout devine), ou sont vos diamants ? » Chez moi. « Non, m’a-t-il dit en me regardant, ils sont la, sur ma commode. » Et il m’a montre l’ecrin qu’il avait couvert de son mouchoir. « Vous savez d’ou ils viennent ? » m’a-t-il dit. Je suis tombee a ses genoux… j’ai pleure, je lui ai demande de quelle mort il voulait me voir mourir.
— Tu as dit cela ! s’ecria le pere Goriot. Par le sacre nom de Dieu, celui qui vous fera mal a l’une ou a l’autre, tant que je serai vivant, peut etre sur que je le brulerai a petit feu ! Oui, je le dechiqueterai comme…
Le pere Goriot se tut, les mots expiraient dans sa gorge.
— Enfin, ma chere, il m’a demande quelque chose de plus difficile a faire que de mourir. Le ciel preserve toute femme d’entendre ce que j’ai entendu !
— J’assassinerai cet homme, dit le pere Goriot tranquillement. Mais il n’a qu’une vie, et il m’en doit deux. Enfin, quoi ? reprit-il en regardant Anastasie.
— Eh bien, dit la comtesse en continuant, apres une pause il m’a regardee : « Anastasie, m’a-t-il dit, j’ensevelis tout dans le silence, nous resterons ensemble, nous avons des enfants. Je ne tuerai pas monsieur de Trailles, je pourrais le manquer, et pour m’en defaire autrement je pourrais me heurter contre la justice humaine. Le tuer dans vos bras, ce serait deshonorer lesenfants. Mais pour ne voir perir ni vos enfants, ni leur pere, ni moi, je vous impose deux conditions. Repondez : Ai-je un enfant a moi ? » J’ai dit oui. « Lequel ? » a-t-il demande. Ernest, notre aine. « Bien, a-t-il dit. Maintenant, jurez-moi de m’obeir desormais sur un seul point. » J’ai jure. « Vous signerez la vente de vos biens quand je vous le demanderai. »
— Ne signe pas, cria le pere Goriot. Ne signe jamais cela. Ah ! ah ! monsieur de Restaud, vous ne savez pas ce que c’est que de rendre une femme heureuse, elle va chercher le bonheur la ou il est, et vous la punissez de votre niaise impuissance ?… Je suis la, moi, halte la ! il me trouvera dans sa route. Nasie, sois en repos. Ah, il tient a son heritier ! bon, bon. Je lui empoignerai son fils, qui, sacre tonnerre, est mon petit-fils. Je puis bien le voir, ce marmot ? Je le mets dans mon village, j’en aurai soin, sois bien tranquille. Je le ferai capituler, ce monstre-la, en lui disant : A nous deux ! Si tu veux avoir ton fils, rends a ma fille son bien, et laisse-la se conduire a sa guise.
— Mon pere !
— Oui, ton pere ! Ah ! je suis un vrai pere. Que ce drole de grand seigneur ne maltraite pas mes filles. Tonnerre ! je ne sais pas ce que j’ai dans les veines. J’y ai le sang d’un tigre, je voudrais devorer ces deux hommes. O mes enfants ! voila donc votre vie ? Mais c’est ma mort. Que deviendrez-vous donc quand je ne serai plus la ? Les peres devraient vivre autant que leurs enfants. Mon Dieu, comme ton monde est mal arrange ! Et tu as un fils cependant, a ce qu’on nous dit. Tu devrais nous empecher de souffrir dans nos enfants. Mes chers anges, quoi ! ce n’est qu’a vos douleurs que je dois votre presence. Vous ne me faites connaitre que vos larmes. Eh ! bien, oui, vous m’aimez, je le vois. Venez, venez vous plaindre ici ! mon c?ur est grand, il peut tout recevoir. Oui, vous aurez beau le percer, les lambeaux feront encore des c?urs de pere. Je voudrais prendre vos peines, souffrir pour vous. Ah ! quand vous etiez petites, vous etiez bien heureuses…
— Nous n’avons eu que ce temps-la de bon, dit Delphine. Ou sont les moments ou nous degringolions du haut des sacs dans le grand grenier.
— Mon pere ! ce n’est pas tout, dit Anastasie a l’oreille de Goriot qui fit un bond. Les diamants n’ont pas ete vendus cent mille francs. Maxime est poursuivi. Nous n’avons plus que douze mille francs a payer. Il m’a promis d’etre sage, de ne plus jouer. Il ne me reste plus au monde que son amour, et je l’ai paye trop cher pour ne pas mourir s’il m’echappait. Je lui ai sacrifie fortune, honneur, repos, enfants. Oh ! faites qu’au moins Maxime soit libre, honore, qu’il puisse demeurer dans le monde ou il saura se faire une position. Maintenant il ne me doit pas que le bonheur, nous avons des enfants qui seraient sans fortune. Tout sera perdu s’il est mis a Sainte-Pelagie.