Le pere Goriot - де Бальзак Оноре. Страница 50

— Je ne les ai pas, Nasie. Plus, plus rien, plus rien ! C’est la fin du monde. Oh ! le monde va crouler, c’est sur. Allez-vous-en, sauvez-vous avant ! Ah ! j’ai encore mes boucles d’argent, six couverts, les premiers que j’aie eus dans ma vie. Enfin, je n’ai plus que douze cents francs de rente viagere…

— Qu’avez-vous donc fait de vos rentes perpetuelles ?

— Je les ai vendues en me reservant ce petit bout de revenu pour mes besoins. Il me fallait douze mille francs pour arranger un appartement a Fifine.

— Chez toi, Delphine ? dit madame de Restaud a sa s?ur.

— Oh ! qu’est-ce que cela fait ! reprit le pere Goriot, les douze mille francs sont employes.

— Je devine, dit la comtesse. Pour monsieur de Rastignac. Ah ! ma pauvre Delphine, arrete-toi. Vois ou j’en suis.

— Ma chere, monsieur de Rastignac est un jeune homme incapable de ruiner sa maitresse.

— Merci, Delphine. Dans la crise ou je me trouve, j’attendais mieux de toi ; mais tu ne m’as jamais aimee.

— Si, elle t’aime, Nasie, cria le pere Goriot, elle me le disait tout a l’heure. Nous parlions de toi, elle me soutenait que tu etais belle et qu’elle n’etait que jolie, elle !

— Elle ! repeta la comtesse, elle est d’un beau froid.

— Quand cela serait, dit Delphine en rougissant, comment t’es-tu comportee envers moi ? Tu m’as reniee, tu m’as fait fermer les portes de toutes les maisons ou je souhaitais aller, enfin tu n’as jamais manque la moindre occasion de me causer de la peine. Et moi, suis-je venue, comme toi, soutirer a ce pauvre pere, mille francs a mille francs, sa fortune, et le reduire dans l’etat ou il est ? Voila ton ouvrage ; ma s?ur. Moi, j’ai vu mon pere tant que j’ai pu, je ne l’ai pas mis a la porte, et ne suis pas venue lui lecher les mains quand j’avais besoin de lui. Je ne savais seulement pas qu’il eut employe ces douze mille francs pour moi. J’ai de l’ordre, moi ! tu le sais. D’ailleurs, quand papa m’a fait des cadeaux, je ne les ai jamais quetes.

— Tu etais plus heureuse que moi : monsieur de Marsay etait riche, tu en sais quelque chose. Tu as toujours ete vilaine comme l’or. Adieu, je n’ai ni s?ur, ni…

— Tais-toi, Nasie ! cria le pere Goriot.

— Il n’y a qu’une s?ur comme toi qui puisse repeter ce que le monde ne croit plus, tu es un monstre, lui dit Delphine.

— Mes enfants, mes enfants, taisez-vous, ou je me tue devant vous.

— Va, Nasie, je te pardonne, dit madame de Nucingen en continuant, tu es malheureuse. Mais je suis meilleure que tu ne l’es. Me dire cela au moment ou je me sentais capable de tout pour te secourir, meme d’entrer dans la chambre de mon mari, ce que je ne ferais ni pour moi ni pour… Ceci est digne de tout ce que tu as commis de mal contre moi depuis neuf ans.

— Mes enfants, mes enfants, embrassez-vous ! dit le pere. Vous etes deux anges.

— Non, laissez-moi, cria la comtesse que Goriot avait prise par le bras et qui secoua l’embrassement de son pere. Elle a moins de pitie pour moi que n’en aurait mon mari. Ne dirait-on pas qu’elle est l’image de toutes les vertus !

— J’aime encore mieux passer pour devoir de l’argent a monsieur de Marsay que d’avouer que monsieur de Trailles me coute plus de deux cent mille francs, repondit madame de Nucingen.

— Delphine ! cria la comtesse en faisant un pas vers elle.

— Je te dis la verite quand tu me calomnies, repliqua froidement la baronne.

— Delphine ! tu es une…

Le pere Goriot s’elanca, retint la comtesse et l’empecha de parler en lui couvrant la bouche avec sa main.

— Mon Dieu ! mon pere, a quoi donc avez-vous touche ce matin ? lui dit Anastasie.

— Eh ! bien, oui, j’ai tort, dit le pauvre pere en s’essuyant les mains a son pantalon. Mais je ne savais pas que vous viendriez, je demenage.

Il etait heureux de s’etre attire un reproche qui detournait sur lui la colere de sa fille.

— Ah ! reprit-il en s’asseyant, vous m’avez fendu le c?ur. Je me meurs, mes enfants ! Le crane me cuit interieurement comme s’il avait du feu. Soyez donc gentilles, aimez vous bien ! Vous me feriez mourir. Delphine, Nasie, allons, vous aviez raison, vous aviez tort toutes les deux. Voyons, Dedel, reprit-il en tournant sur la baronne des yeux pleins de larmes, il lui faut douze mille francs, cherchons-les. Ne vous regardez pas comme ca. Il se mit a genoux devant Delphine. — Demande lui pardon pour me faire plaisir, lui dit-il a l’oreille, elle est la plus malheureuse, voyons ?

— Ma pauvre Nasie, dit Delphine epouvantee de la sauvage et folle expression que la douleur imprimait sur le visage de son pere, j’ai eu tort, embrasse-moi…

—— Ah ! vous me mettez du baume sur le c?ur, cria le pere Goriot. Mais ou trouver douze mille francs ? Si je me proposais comme remplacant ?

— Ah ! mon pere ! dirent les deux filles en l’entourant, non, non.

— Dieu vous recompensera de cette pensee, notre vie n’y suffirait point ! n’est-ce pas, Nasie ? reprit Delphine.

— Et puis, pauvre pere, ce serait une goutte d’eau, fit observer la comtesse.

— Mais on ne peut donc rien faire de son sang ? cria le vieillard desespere. Je me voue a celui qui te sauvera, Nasie ! je tuerai un homme pour lui. Je ferai comme Vautrin, j’irai au bagne ! je… Il s’arreta comme s’il eut ete foudroye. Plus rien ! dit-il en s’arrachant les cheveux. Si je savais ou aller pour voler, mais il est encore difficile de trouver un vol a faire. Et puis il faudrait du monde et du temps pour prendre la Banque. Allons, je dois mourir, je n’ai plus qu’a mourir. Oui, je ne suis plus bon a rien, je ne suis plus pere ! non. Elle me demande, elle a besoin ! et moi, miserable, je n’ai rien. Ah ! tu t’es fait des rentes viageres, vieux scelerat, et tu avais des filles ! Mais tu ne les aimes donc pas ? Creve, creve comme un chien que tu es ! Oui, je suis au-dessous d’un chien, un chien ne se conduirait pas ainsi ! Oh ! ma tete ! elle bout !

— Mais, papa, crierent les deux jeunes femmes qui l’entouraient pour l’empecher de se frapper la tete contre les murs, soyez donc raisonnable.

Il sanglotait. Eugene, epouvante, prit la lettre de change souscrite a Vautrin, et dont le timbre comportait une plus forte somme, il en corrigea le chiffre, en fit une lettre de change reguliere de douze mille francs a l’ordre de Goriot et entra.

— Voici tout votre argent, madame, dit-il en presentant le papier. Je dormais, votre conversation m’a reveille, j’ai pu savoir ainsi ce que je devais a monsieur Goriot.. En voici le titre que vous pouvez negocier, je l’acquitterai fidelement.

La comtesse, immobile, tenait le papier.

— Delphine, dit-elle pale et tremblante de colere, de fureur, de rage, je te pardonnais tout, Dieu m’en est temoin, mais ceci ! Comment, monsieur etait la, tu le savais ! tu as eu la petitesse de te venger en me laissant lui livrer mes secrets, ma vie, celle de mes enfants, ma honte, mon honneur ! Va, tu ne m’es plus de rien, je te hais, je te ferai tout le mal possible, je… La colere lui coupa la parole, et son gosier se secha.

— Mais, c’est mon fils, notre enfant, ton frere, ton sauveur, criait le pere Goriot. Embrasse-le donc, Nasie ! Tiens, moi je l’embrasse, reprit-il en serrant Eugene avec une sorte de fureur. Oh ! mon enfant ! je serai plus qu’un pere pour toi, je veux etre une famille. Je voudrais etre Dieu, je te jetterais l’univers aux pieds. Mais, baise-le donc, Nasie ? ce n’est pas un homme, mais un ange, un veritable ange.

— Laissez-la, mon pere, elle est folle en ce moment, dit Delphine.

— Folle ! folle ! Et toi, qu’es-tu ? demanda madame de Restaud.

— Mes enfants, je meurs si vous continuez, cria le vieillard en tombant sur son lit comme frappe par une balle. — Elles me tuent ! se dit-il.

La comtesse regarda Eugene, qui restait immobile, abasourdi par la violence de cette scene : — Monsieur, lui dit-elle en l’interrogeant du geste, de la voix et du regard, sans faire attention a son pere dont le gilet fut rapidement defait par Delphine.