Le pere Goriot - де Бальзак Оноре. Страница 51

— Madame, je payerai et je me tairai, repondit-il sans attendre la question.

— Tu as tue notre pere, Nasie ! dit Delphine en montrant le vieillard evanoui a sa s?ur, qui se sauva.

— Je lui pardonne bien, dit le bonhomme en ouvrant les yeux, sa situation est epouvantable et tournerait une meilleure tete. Console Nasie, sois douce pour elle, promets-le a ton pauvre pere, qui se meurt, demanda-t-il a Delphine en lui pressant la main.

— Mais qu’avez-vous ? dit-elle tout effrayee.

— Rien, rien, repondit le pere, ca se passera. J’ai quelque chose qui me presse le front, une migraine. Pauvre Nasie, quel avenir !

En ce moment la comtesse rentra, se jeta aux genoux de son pere : — Pardon ! cria-t-elle.

— Allons, dit le pere Goriot, tu me fais encore plus de mal maintenant.

— Monsieur, dit la comtesse a Rastignac, les yeux baignes de larmes, la douleur m’a rendue injuste. Vous serez un frere pour moi ? reprit-elle en lui tendant la main.

— Nasie, lui dit Delphine en la serrant, ma petite Nasie, oublions tout.

— Non, dit-elle, je m’en souviendrai, moi !

— Les anges, s’ecria le pere Goriot, vous m’enlevez le rideau que j’avais sur les yeux, votre voix me ranime. Embrassez-vous donc encore. Eh ! bien, Nasie, cette lettre de change te sauvera-t-elle ?

— Je l’espere. Dites donc, papa, voulez-vous y mettre votre signature ?

— Tiens, suis-je bete, moi, d’oublier ca ! Mais je me suis trouve mal, Nasie, ne m’en veux pas. Envoie-moi dire que tu es hors de peine. Non, j’irai. Mais non, je n’irai pas, je ne puis plus voir ton mari, je le tuerais net. Quant a denaturer tes biens, je serai la. Va vite, mon enfant, et fais que Maxime devienne sage.

Eugene etait stupefait.

— Cette pauvre Anastasie a toujours ete violente, dit madame de Nucingen, mais elle a bon c?ur.

— Elle est revenue pour l’endos, dit Eugene a l’oreille de Delphine.

— Vous croyez ?

— Je voudrais ne pas le croire. Mefiez-vous d’elle, repondit-il en levant les yeux comme pour confier a Dieu des pensees qu’il n’osait exprimer.

— Oui, elle a toujours ete un peu comedienne, et mon pauvre pere se laisse prendre a ses mines.

— Comment allez-vous, mon bon pere Goriot ? demanda Rastignac au vieillard.

— J’ai envie de dormir, repondit-il.

Eugene aida Goriot a se coucher. Puis, quand le bonhomme se fut endormi en tenant la main de Delphine, sa fille se retira.

— Ce soir aux Italiens, dit-elle a Eugene, et tu me diras comment il va. Demain, vous demenagerez, monsieur. Voyons votre chambre. Oh ! quelle horreur ! dit-elle en y entrant. Mais vous etiez plus mal que n’est mon pere. Eugene, tu t’es bien conduit. Je vous aimerais davantage si c’etait possible ; mais, mon enfant, si vous voulez faire fortune, il ne faut pas jeter comme ca des douze mille francs par les fenetres. Le comte de Trailles est joueur. Ma s?ur ne veut pas voir ca. Il aurait ete chercher ses douze mille francs la ou il sait perdre ou gagner des monts d’or.

Un gemissement les fit revenir chez Goriot, qu’ils trouverent en apparence endormi, mais quand les deux amants approcherent, ils entendirent ces mots : — Elles ne sont pas heureuses ! Qu’il dormit ou qu’il veillat, l’accent de cette phrase frappa si vivement le c?ur de sa fille, qu’elle s’approcha du grabat sur lequel gisait son pere, et le baisa au front. Il ouvrit les yeux en disant : — C’est Delphine !

— Eh ! bien, comment vas-tu ? demanda-t-elle.

— Bien, dit-il. Ne sois pas inquiete, je vais sortir. Allez, allez, mes enfants, soyez heureux.

Eugene accompagna Delphine jusque chez elle ; mais, inquiet de l’etat dans lequel il avait laisse Goriot, il refusa de diner avec elle, et revint a la maison Vauquer. Il trouva le pere Goriot debout et pret a s’attabler. Bianchon s’etait mis de maniere a bien examiner la figure du vermicellier. Quand il lui vit prendre son pain et le sentir pour juger de la farine avec laquelle il etait fait, l’etudiant, ayant observe dans ce mouvement une absence totale de ce que l’on pourrait nommer la conscience de l’acte, fit un geste sinistre.

— Viens donc pres de moi, monsieur l’interne a Cochin, dit Eugene.

Bianchon s’y transporta d’autant plus volontiers qu’il allait etre pres du vieux pensionnaire.

— Qu’a-t-il ? demanda Rastignac.

— A moins que je ne me trompe, il est flambe ! Il a du se passer quelque chose d’extraordinaire en lui, il me semble etre sous le poids d’une apoplexie sereuse imminente. Quoique le bas de la figure soit assez calme, les traits superieurs du visage se tirent vers le front malgre lui, vois ! Puis les yeux sont dans l’etat particulier qui denote l’invasion du serum dans le cerveau. Ne dirait-on pas qu’ils sont pleins d’une poussiere fine ? Demain matin j’en saurai davantage.

— Y aurait-il quelque remede ?

— Aucun. Peut-etre pourra-t-on retarder sa mort si l’on trouve les moyens de determiner une reaction vers les extremites, vers les jambes ; mais si demain soir les symptomes ne cessent pas, le pauvre bonhomme est perdu. Sais-tu par quel evenement la maladie a ete causee ? il a du recevoir un coup violent sous lequel son moral aura succombe.

— Oui, dit Rastignac en se rappelant que les deux filles avaient battu sans relache sur le c?ur de leur pere.

— Au moins, se disait Eugene, Delphine aime son pere, elle ! Le soir, aux Italiens, Rastignac prit quelques precautions afin de ne pas trop alarmer madame de Nucingen.

— N’ayez pas d’inquietude, repondit-elle aux premiers mots que lui dit Eugene, mon pere est fort. Seulement, ce matin, nous l’avons un peu secoue. Nos fortunes sont en question, songez-vous a l’etendue de ce malheur ? Je ne vivrais pas si votre affection ne me rendait pas insensible a ce que j’aurais regarde naguere comme des angoisses mortelles. Il n’est plus aujourd’hui qu’une seule crainte, un seul malheur pour moi, c’est de perdre l’amour qui m’a fait sentir le plaisir de vivre. En dehors de ce sentiment tout m’est indifferent, je n’aime plus rien au monde. Vous etes tout pour moi. Si je sens le bonheur d’etre riche, c’est pour mieux vous plaire. Je suis, a ma honte, plus amante que je ne suis fille. Pourquoi ? je ne sais. Toute ma vie est en vous. Mon pere m’a donne un c?ur, mais vous l’avez fait battre. Le monde entier peut me blamer, que m’importe ! si vous, qui n’avez pas le droit de m’en vouloir, m’acquittez des crimes auxquels me condamne un sentiment irresistible ? Me croyez-vous une fille denaturee ? oh, non, il est impossible de ne pas aimer un pere aussi bon que l’est le notre. Pouvais-je empecher qu’il ne vit enfin les suites naturelles de nos deplorables mariages ? Pourquoi ne les a-t-il pas empeches ? N’etait-ce pas a lui de reflechir pour nous ? Aujourd’hui, je le sais, il souffre autant que nous ; mais que pouvions-nous y faire ? Le consoler ! nous ne le consolerions de rien. Notre resignation lui faisait plus de douleur que nos reproches et nos plaintes ne lui causeraient de mal. Il est des situations dans la vie ou tout est amertume.

Eugene resta muet, saisi de tendresse par l’expression naive d’un sentiment vrai. Si les Parisiennes sont souvent fausses, ivres de vanite, personnelles, coquettes, froides, il est sur que quand elles aiment reellement, elles sacrifient plus de sentiments que les autres femmes a leurs passions ; elles se grandissent de toutes leurs petitesses, et deviennent sublimes. Puis Eugene etait frappe de l’esprit profond et judicieux que la femme deploie pour juger les sentiments les plus naturels, quand une affection privilegiee l’en separe et la met a distance. Madame de Nucingen se choqua du silence que gardait Eugene.

— A quoi pensez-vous donc ? lui demanda-t-elle.

— J’ecoute encore ce que vous m’avez dit. J’ai cru jusqu’ici vous aimer plus que vous ne m’aimiez.

Elle sourit et s’arma contre le plaisir qu’elle eprouva, pour laisser la conversation dans les bornes imposees par les convenances. Elle n’avait jamais entendu les expressions vibrantes d’un amour jeune et sincere. Quelques mots de plus, elle ne se serait plus contenue.